L’ultime décor

welcome to our distorted reality

La France a froid. C’est du moins ce que l’on apprend en allumant la radio. Sur les ondes, il n’est question que de froid glacial et de températures en baisse. Pensez-vous, -5° à Paris, un record depuis… 2012, qui doit bien faire sourire nos amis canadiens. A longueur de journée, les médias, anciens comme nouveaux, nous mettent en face d’une réalité qu’ils n’ont de cesse de façonner.

La revanche du message

Dans « Pour comprendre les médias« , Marshall McLuhan a exposé la manière dont les médias façonnent notre perception de la réalité. Il a décrit ainsi ce qu’il a lui-même résumé en « le médium est le message »:

« voir, percevoir ou utiliser un prolongement de soi-même sous une forme technologique, c’est nécessairement s’y soumettre. Écouter la radio, lire une page imprimée, c’est laisser pénétrer ces prolongements de nous-mêmes dans notre système personnel et subir la structuration ou le déplacement de perception qui en découle inévitablement ».

En rendant l’information ubiquitaire et accessible en temps réel, l’internet et les réseaux sociaux ont radicalement transformé cette perception durant la dernière décennie. Mieux encore, en mettant entre nos propres mains la responsabilité de filtrer et de donner sens à cette information (comme l’affirme Clay Shirky, « il n’y a pas de surcharge d’information, mais une défaillance des filtres »), la technologie donne une portée ultime et universelle à cette autre phrase de McLuhan:

« nos vies, personnelles et collectives, sont devenues des processus d’information, parce que nous avons projeté hors de nous, dans la technologie électrique, nos systèmes nerveux centraux ».

Mais la vision de McLuhan en 1964, contre laquelle il nous mettait d’ailleurs en garde et dans laquelle nous baignons désormais, est incomplète. Dans notre société post McLuhanienne, la transformation de notre perception est renforcée par la nature du message véhiculé par les médias. Ce message nous dépeint un monde normatif et normalisé, d’où tout excès (de température, de controverse, de substances nuisibles à la santé – mais de plus en plus de substances répondent chaque jour à ce critère -, de comportement) est dénoncé et doit être banni. Qu’importe par exemple si, comme l’a démontré Jean-Claude Chesnais dans « Histoire de la violence – En Occident de 1800 à nos jours« , la violence est en diminution constante depuis le Moyen-Âge, celle-ci est devenue à la fois de moins en moins supportable et de plus en plus médiatisée.

En devenant un « processus d’information », pour reprendre le terme de McLuhan, nous perdons toute distance envers cette perception, et plongeons à travers le miroir déformant que les flux incessants d’information placent devant nous. Tel le héros du « Truman Show », nous vivons désormais dans un monde de télé-réalité, qui nous présente une image sécurisante, voire moralisante, d’une réalité de plus en plus complexe, image à laquelle nous préférons adhérer pour notre confort intellectuel. Sous bien des aspects, ce monde et les idéologies qui le maintiennent en action ne sont qu’un vaste décor.

La chambre d’écho qui se constitue au sein des réseaux sociaux, l’isolement cognitif dans lequel Facebook nous enferme en nous présentant prioritairement des informations que nous avons l’habitude de voir, sont de parfaits exemples du mécanisme par lequel média et message renforcent mutuellement leur effet pour altérer notre perception du réel.

Le mythe de l’homme providentiel

S’il est un domaine dans lequel ce phénomène se manifeste particulièrement clairement, c’est certainement celui du discours et de la construction politiques. En cette année d’élections, nous voyons un peu partout l’homme providentiel, tel qu’il s’est façonné à travers les médias, détrôner les politiciens traditionnels. Donald Trump est à ce titre un parfait exemple. Son image s’est construite, non autour de son action, mais à travers son expression médiatique. Il est le flamboyant promoteur propriétaire de la Trump Tower (ouverte au public, ce qui permet de souligner sa magnificence), et il est aussi le businessman impitoyable du show de télé-réalité The Apprentice. Les élections américaines se sont sans aucun doute davantage jouées sur la foi des commentaires des médias people que sur la valeur d’un programme.

La plupart des analyses, aux USA comme en France, se concentrent sur la volonté de changement, sur le désir de restaurer des nations prospères. Mais il suffit de se pencher un peu sur cette promesse pour voir ce qu’elle recouvre: si les arguments ont changé, le fond est resté celui qui prévalait à l’aube des Trente Glorieuses, et qui a sous-tendu la reconstruction après le traumatisme vécu au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Sous bien des aspects, le changement qu’on nous propose aujourd’hui n’est rien d’autre qu’une marche arrière idéologique de plus d’un demi-siècle.

Travail, Jeunesse, Patrie

S’il diffère bien peu du « Travail, Famille Patrie » qui a été notre devise nationale sous le régime de Vichy, « Travail, Jeunesse, Patrie » résume pourtant assez bien le contenu du changement tel que l’envisagent les hommes politiques de tous bords.

Prime est donnée à la jeunesse, à une époque où la complexité imposerait de vouloir bénéficier de l’entière diversité du savoir et des expériences disponibles à travers la société. La montée d’un repli identitaire ou économique, la volonté de redéfinir les alliances et les marchés, de réassurer les frontières dans un objectif sécuritaire, se font sentir à travers l’ensemble de l’échiquier politique, alors qu’il est clair que les problèmes les plus importants qui se posent à nous ne peuvent trouver de solution qu’à une échelle bien plus grande que celle de la nation.

Le travail, conscience erronée du monde

Le sujet du travail est celui sur lequel s’exerce la plus forte distorsion de la réalité. L’ensemble des candidats à la présidence française, déclarés ou potentiels, se présentent en effet en tant que défenseurs de la valeur travail. Quoi de plus naturel, a priori, à un moment où le chômage est historiquement haut dans notre pays ? Sauf que…

La nature du travail est en train de se transformer radicalement, sous la pression des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, condamnant d’ores et déjà de nombreuses professions. Quelles que soient les conséquences, encore mal connues, de cette évolution (disparition de certaines catégories d’emploi, transition vers des formes de travail plus créatives), il est clair que la promesse d’un retour au plein emploi relève davantage de la pensée magique que d’une quelconque analyse, aussi sommaire soit-elle.

Au-delà du débat sur la transformation de la nature du travail qui, à lui seul, suffirait à disqualifier la quasi-totalité des discours politiques se pose une question plus pernicieuse, mais bien plus fondamentale. Tout le monde parle de « l’ubérisation de la société », mais bien peu semblent se rendre compte de ce que cette expression signifie VRAIMENT.

Jugez plutôt:

Nombre de chauffeurs travaillant pour l’entrepriseplus d’1 million
Nombre d’employés6 000
Chiffre d’affaires estimé pour 20165.5 milliards $US
Pertes estimées pour 20163 milliards $US
Valeur estimée de l’entreprise69 milliards $US

Deux des cofondateurs d’Uber, Travis Kalanick et Garett Camp, ont aujourd’hui une fortune estimée pour chacun d’eux à plus de 6 milliards US$, tandis que le revenu moyen des chauffeurs français (selon une étude du Boston Consulting Group) se situe entre 1 400 et 1 600€ nets pour 52 heures de travail. Un récent rapport de l’ONG Oxfam montre que la moitié de la richesse mondiale est aux mains d’1% de la population, tandis que l’économie réelle (la production de biens et de services, donc ce qu’on appelle communément « travail ») ne représente plus que moins de 5% de l’économie globale. Si Uber est un symbole, c’est bien celui de la scission fondamentale qui existe aujourd’hui entre travail et enrichissement.

Dans un tel contexte, la critique des salaires de plus en plus exorbitants accordés aux PDG de grands groupes devient presque futile, ceux-ci illustrent en fait les derniers feux du capitalisme managérial, une résurgence supplémentaire du modèle économique des Trente Glorieuses. Le modèle actuel, par contre, creuse un fossé de plus en plus profond entre une élite dont la richesse s’accroit de manière exponentielle et la majorité de la population dont les revenus du travail au mieux stagnent, comme le montre le rapport d’Oxfam. Ce qui est remis en question, ce n’est pas tant l’accroissement des inégalités dans la répartition des richesses, mais notre infrastructure sociale. Notre société s’est construite et structurée, depuis la chute de l’Ancien Régime, autour de sa dimension économique, dimension dans laquelle la « valeur travail », brandie par nos hommes politiques, jouait un rôle structurant, parce que moteur. Force est de constater qu’elle ne remplit plus ce rôle.

Si, presque deux siècles auparavant, dans sa « Contribution à la critique de la Philosophie du droit de Hegel », Marx déclarait que « la religion est l’opium du peuple », il est sans doute temps de clamer que le travail est devenu l’opium du peuple, tant les arguments qu’il avançait à l’encontre de la religion, en tant que « conscience erronée du monde », peuvent aujourd’hui s’appliquer au travail en tant que valeur. Pour Marx:

« Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C’est la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable ».

Une âme d’artiste

Le futur reste, bien sûr, entièrement à écrire, et nul ne pourrait aujourd’hui prétendre le connaitre. Mais si nous voulons introduire davantage d’équité et de solidarité dans nos entreprises, dans notre société, nous allons devoir avant toute chose démonter, pierre après pierre, le décor ultime au milieu duquel nous nous débattons. McLuhan pensait que l’art pourrait nous fournir les éléments de compréhension nécessaires à une vision plus lucide des effets que technologie et information exercent sur nous, et à nous immuniser contre ces effets. Pour sortir du déterminisme socio-économique létal dans lequel nous nous sommes enfermés, ouvrons les yeux, serrons les dents, et retrouvons une âme d’artiste. Nous en avons désespérément besoin.

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Pour les RH, l’espace entre Ressources et Humaines

H-R

Les processus RH fondamentaux, tels que les modèles de compétences ou les systèmes de rémunération, évoluent très lentement, et le raz-de-marée du « tout collaboratif » a laissé l’essentiel de l’influence des RH loin derrière. Que faut-il donc faire pour prendre en marche la disruption digitale à laquelle la plupart des entreprises font aujourd’hui face et y jouer un rôle actif ?

Cette question est (ou du moins devrait être) à l’agenda de tous les responsables des ressources humaines. Pour cette raison, le HRTech World Congress est certainement l’une des conférences les plus intéressantes du moment si l’on cherche à comprendre les évolutions du monde du travail. De ce point de vue, la dernière édition, qui s’est tenue fin octobre dernier à Paris fut à la fois excitante et désespérante. C’est du moins ce qui m’est apparu à travers les stands et conférences auxquelles j’ai assisté en compagnie de Frédéric Williquet, dont les notes devraient venir compléter les miennes.

Le mauvais

S’il fallait donner un sous-titre à cette édition, ce serait « vous aider à traiter la complexité ». Mais si cette promesse était le point commun de tous les éditeurs, ils y apportent des réponses bien différentes les unes des autres. Bien que l’attrait du big data, qui avait semblé si attirant l’an dernier, avait pratiquement disparu de la plupart des discours et des sessions, le nombre d’éditeurs et de startups proposant des solutions permettant de rationaliser ou d’automatiser les processus de recrutement basées sur les données était impressionnant. A une époque où l’on a tant besoin de diversité, de pensée critique et de compétences uniques, le message ainsi véhiculé était quelque peu désespérant …

Du côté pessimiste, je mettrais également la plupart des efforts de services et d’applications placés sous le signe du « bien-être », efforts qui me font penser à un emplâtre sur une jambe de bois (c’est là la seule traduction que j’ai pu trouver à l’expression « lipstick on pigs », qui était le titre de la session animée par Euan Semple), et qui je pense finiront au rayon des fausses-bonnes-idées, comme la gamification si à la mode il y a quelques années. Mais seul l’avenir dira.

Le bon

Mais je serais malhonnête à dire que j’ai été déçu par la conférence. Bien des choses laissent à penser que le RH sont actuellement en train de passer d’une vision industrielle de l’entreprise à une approche bien plus flexible, sociale et centrée sur l’humain. Les jours du LMS traditionnel, par exemple, sont comptés alors que les environnements d’apprentissage s’apparentent de plus en plus à des hubs réunissant et distribuant toutes sortes de savoirs, et imaginant des manières individualisées de le partager et de l’enrichir.

Au lieu d’essayer de se confronter à la complexité au niveau de l’organisation, les éditeurs se concentrent à présent sur les équipes, les individus et les interactions. Le feedback continu remplace de plus en plus le traditionnel entretien d’évaluation annuel. De plus en plus, ils prennent en compte les données, non plus seulement quantitatives, mais qualitatives, voire subjectives, dans leur manière déborder l’évaluation.

 L’émergent

Ces deux tendances, le bon et le mauvais, illustrent à quel point les responsables RH sont aujourd’hui coincés entre deux univers difficiles à réconcilier: la nécessité de gérer less ressources et les impératifs humains. Mais, quelle que soit la largeur de l’espace entre les deux termes de cette équation, il se comble à présent à travers des analytiques et des approches globales davantage centrées sur l’humain.

 

Dessin Frederic Williquet

La capture de données subjectives, telles que recommandations entre pairs sur des compétences spécifiques, ouvre le champ à une nouvelle race d’outils RH basés sur le graphe social, montrant les relations et la responsabilité réciproque au-delà des certifications induites par la hiérarchie. C’est peut-être un rêve, mais je pense que nous n’aurons pas longtemps à attendre avant qu’un manager soit capable de constituer des équipes non seulement sur la foi de compétences objectives, mais également sur des critères culturels tenant compte de la proximité dans les réseaux et de l’affinité.

Une autre émergence marquante est la reconnaissance du design thinking en tant qu’approche structurelle de l’innovation et d’autonomisation dans l’entreprise. Le diable est dans les détails, bien sûr, mais c’est le signe que la transformation organisationnelle est en route, et que les responsables RH ont maintenant construit leur feuille de route. Il est plus que temps qu’ils montent à bord.

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Le nouveau Moyen-Âge

the new serf

L’entreprise est née sur le principe de la mise en commun des moyens de production, de la promesse de la possibilité d’accéder à des ressources inaccessibles à un individu seul.

Selon Jeremy Rifkin, la réduction des coûts de production provoquée par la révolution numérique ouvre aujourd’hui la voie aux « makers » et rend obsolète l’entreprise traditionnelle, du moins dans la définition que lui donne la théorie des coûts de transaction. Mais cela représente-t-il réellement un progrès social ?

L’irrésistible montée en puissance des plateformes

Au cours des dernières décennies, la notion même de ressource a radicalement évolué. Alors que de multiples moyens de production sont désormais accessibles à tous à faible coût, voire à coût nul, le principal problème auquel l’entreprise doit faire face est devenu celui de l’accès au marché. Dans une société dévorée par l’individualisme et la compétition, chacun se bat désormais pour trouver de nouveaux circuits de distribution pour sa propre production. Il était donc tout naturel que se développent et prospèrent de nouveaux géants, tels qu’Uber ou la Marketplace d’Amazon, dont le modèle repose presque exclusivement sur une plateforme digitale permettant de mettre à disposition de tout à chacun, à nouveau à faible coût, de puissants moyens logistiques globaux.

Si ces plateformes offrent à des individus et à de très petites entités dotés de leurs propres moyens de production (ce n’est pas un hasard si Amazon s’intéresse depuis peu fortement à l’artisanat) une très large exposition au marché, elles partagent une autre caractéristique: une très forte concentration capitalistique. Ainsi, Uber ou AirBnB sont-elles des entreprises privées aux mains d’un nombre très restreint d’actionnaires, et Jeff Bezos, CEO d’Amazon, est-il, de loin le principal actionnaire, direct comme absolu de l’entreprise avec plus de 17% du capital détenu. Dans un monde où la part de l’économie réelle dans l’économie globale se restreint de jour en jour, l’entreprise a troqué la puissance de production contre la puissance financière pure.

Le producteur, cet intermédiaire

Mais ce modèle en plein développement, qui associe concentration du capital avec externalisation des activités de production, est en fait loin de représenter un progrès. L’entreprise préindustrielle s’est construite sur la hiérarchie des rôles et la rationalisation des tâches, cimentant le tout autour d’une « vision » commune que l’on pourrait résumer par « donne-moi une partie du fruit de ton travail, je te donnerai davantage de moyens pour travailler » dans un souci d’efficience globale. L’entreprise industrielle a développé le même type de structure en compromettant la vision, en prise aux enjeux d’une financiarisation progressive, pour devenir la structure malade que l’on connait aujourd’hui, tiraillée entre recherche de sens et recherche de plus en plus exclusive de profit, en grande majorité incapable de réconcilier les deux termes de l’équation. L’entreprise-plateforme, elle, s’est définitivement débarrassée de la propriété des moyens de production en même temps que de la vision interne, la portant au contraire directement vers le client utilisateur de ses services.

Les travaux théoriques de Stephen Vargo et Robert Lusch sur la logique à dominante service et les développements pratiques auxquels ils ont donné lieupour l’entreprise ont démontré qu’un potentiel important de création de valeur existe dans les interactions entre l’entreprise et ses clients. C’est sans doute dans l’exploitation de ce gisement que les entreprises-plateformes se sont montrées les plus brillantes. En externalisant leur production, elles externalisaient également en grande partie l’interaction avec leurs clients. Les systèmes de recommandation et de notation mis en place par la plupart des plateformes (et copié, pour un bien moindre bénéfice, par de nombreux sites de e-commerce) leur ont permis de garder la main sur la qualité de cette interaction. Quelques commentaires négatifs suffisent en effet parfois à radier quelqu’un d’une plateforme.

L’homme dépossédé

Dans ce contexte, en externalisant les moyens de production tout en s’appropriant la relation client et de la création de valeur, les grandes plateformes ont dépossédé l’individu, l’acteur-producteur, de ce qui était jusqu’alors l’essence du travail, à savoir la participation à la production d’une réponse particulière et différenciée à un besoin précis au moyen de compétences spécifiques. La communauté d’intérêts qui donnait son sens à l’entreprise a disparu, remplacée par un marché ouvert où la compétition est attisée. L’individu est devenu à la fois produit et outil, interchangeable et consommable en fonction des attentes des clients et des besoins de l’entreprise-plateforme. La recherche d’efficience qui caractérisait l’entreprise industrielle, et qui, de la mise en place de hiérarchies rigides à l’adoption de stratégies lean, se traduisait par l’optimisation des ressources disponibles, a fait place à une recherche d’efficacité basée sur la quantité des acteurs à disposition de la plateforme.

Si l’entreprise préindustrielle et l’entreprise industrielle pouvaient se prévaloir d’une relation symétrique entre elles et leurs employés (part du fruit de la production contre moyens de production dans le premier cas, production contre salaire dans le second), dont les termes et obligations réciproques étaient formalisés par un contrat, l’entreprise-plateforme ne fournit aucun engagement de réciprocité, l’accès au marché n’ayant aucune valeur de garantie. Cette relation, basée sur des intérêts divergents, est en fait assez proche de celle qui existait au Moyen-Âge entre serfs et seigneurs, lorsque le seigneur louait ses terres en échange d’une partie des récoltes, mais que rien ne garantissait au paysan que cette terre lui donnerait ne serait-ce que le moyen de survivre.

L’entreprise-plateforme représente sans doute le stade ultime de l’économie capitaliste et de la société de consommation. Par contre, que ce soit en termes d’organisation ou d’accomplissement humain, elle ne délivre aucune des promesses qu’une véritable économie des réseaux saurait nous apporter. La quantité infinie de savoir et de connexions que la technologie met aujourd’hui à notre disposition devrait nous permettre de jeter les bases d’une Renaissance éclairée, en lieu et place de quoi nous plongeons dans les aspects les plus noirs d’un nouveau Moyen-Âge, dans lequel on accorde plus de valeur aux données qu’au travail. Nous vivons dans un bien triste monde…

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L’ère des idéologies

The Age of Ideology

Nous vivons dans un bien triste monde. Un monde hyperlié. Un monde en réseau. En théorie, cela devrait signifier un accès illimité, universel et sans restriction à l’information. Dans nos sociétés, cela devrait signifier le développement de démocraties éclairées, mues par l’intelligence collective, soucieuses du bien-être et de l’éducation des peuples. Dans nos entreprises, cela devrait aussi signifier le développement d’organisations apprenantes, telles que les a décrites Peter Senge dans son livre majeur, « La cinquième discipline ». Hélas, le monde dans lequel nous vivons semble avoir été gangréné par une des caractéristiques les plus désagréables des réseaux : la vitesse.

Pour ne pas nous laisser distancer par la vitesse grandissante à laquelle l’information est partagée et consommée, nous avons tendance à sursimplifier nos messages, et à réduire l’ensemble de nos communications à des slogans brillants. Le résultat en est que les informations se télescopent. En cherchant à raconter le monde en phrases de 140 caractères, nous substituons la violence des images à la subtilité des mots, les affirmations du prêt-à-penser à la mise en question pertinente. Lorsque le pouvoir ou l’influence entre en jeu, l’information, ou ce qu’il en reste, laisse la place à de la simple communication, ou pire encore, à de l’idéologie, afin de pouvoir se faire entendre et se distinguer au sein de la chambre d’écho qu’est devenu notre environnement.

Idéologie politique

Nous baignons à présent dans l’idéologie à longueur de journée. Les politiciens et les médias ont maîtrisé l’art douteux de remplacer l’information objective par des doctrines discutables. Regardez le Brexit, enclenché par un référendum alimenté par des arguments dont une grande partie était en toute connaissance de cause — et reconnus tels après coup par ses partisans — faux. La nature idéologique, et biaisée, de ces arguments était si évidente, et l’impossibilité de les confronter à la réalité si grande que les vainqueurs se sont retirés du jeu une fois le résultat connu. La peur de l’immigration, et la négation des effets induits par une économie en mauvaise santé ont été suffisamment puissantes pour motiver le vote, mais trop dangereuses pour sous-tendre ne serait-ce que la plus démagogique des realpolitiks.

Regardez également l’horreur récente de l’attentat de Nice. Longtemps avant que Daesh ne revendique l’attaque, les politiciens de tout bord en proclamaient la nature terroriste, alors qu’aucun indice ne pouvait venir en soutien de leurs affirmations. D’ailleurs, si ce n’est cette revendication, rien ou presque encore ne les confirme pour ce qui a objectivement été l’acte insensé d’un individu alcoolique, violent, et mentalement déséquilibré. De l’information ? Non, de l’idéologie. Il est bien plus facile de nommer un ennemi extérieur que de traiter des problèmes intérieurs, bien plus diffus. Il est plus confortable de laisser les gens croire que la « nation » est un refuge sûr où rien de mal ne devrait survenir, tandis que nous menons la guerre sur des terrains extérieurs, en des endroits que, réfugiés derrière nos écrans, nous pouvons continuer à croire abstraits.

Idéologie corporate

Le monde de l’entreprise est lui aussi saturé par l’idéologie. Croissance, efficacité et performance sont les mots clefs de nos machines économiques modernes. La croissance ? Nous vivons dans les sociétés les plus riches de toute l’histoire de l’humanité, comme l’a montré Angus Maddisson.

Evolution of global GDP through ages

Evolution du PIB global à travers les âges

 

Lier le développement et la réussite de l’entreprise à la croissance est une impasse, revenant à s’imaginer que les arbres montent jusqu’au ciel, à moins que nous ne regardions ce développement que sous un angle purement financier, en éliminant toute considération relative aux êtres humains et à l’économie de produits et de services. Comme nous le rappelait récemment Edgar Morin :

« La rentabilité des entreprises est davantage conditionnée à la qualité de l’immatériel (coopération, prise d’initiatives, sens de la responsabilité, créativité, hybridation des services et des métiers, intégration, management, etc.) qu’à la quantité du matériel (ratios financiers, fonds propres, cours de bourse, etc.) ».

L’efficacité et la performance sont liées à un état d’esprit du « plus et davantage », à une vision du monde dominée par les données et les métriques. Le mythe de « si vous ne pouvez pas le mesurer, vous ne pouvez pas le gérer » — incorrectement attribué à Edward Deming — s’est transformé en une croyance encore plus dévastatrice : si vous ne pouvez pas le mesurer, cela n’existe pas. Au nom d’un nouveau dieu appelé Big Data, les entreprises se dirigent idéologiquement droit vers le Meilleur des mondes.

Le pouvoir des structures et des pratiques collaboratives, leur capacité à libérer la créativité et à initier un meilleur partage des responsabilités, est bien plus l’objet de postures idéologiques que de mises en œuvre, de la part de nombreux dirigeants qui voient dans cette évolution organisationnelle le moyen d’asseoir le statu quo bien plus que de générer une réelle transformation. Comme me le disait un dirigeant il y a quelques mois : « c’est bon pour le moral des collaborateurs, mais, de vous à moi, il s’agit surtout de communication ».

Toute fuite est impossible

Les idéologies sont des manifestations de dominance, de manière plus subtile que les hiérarchies. Sous la pression de la vitesse engendrée par les réseaux, elles ne se soucient plus de raconter une conception du monde, mais nous présentent une sursimplification de la réalité qu’elles nous forcent à croire, limitant notre recours à toute pensée critique. Mais ce type de mécanisme ne s’accorde pas avec la logique d’un monde devenu aussi complexe que le nôtre, générant tensions et frustrations.

Dans « L’éloge de la fuite », le neurophysicien Henri Laborit a catégorisé et décrit les différents comportements que l’être humain est susceptible d’adopter lorsqu’il est confronté à la dominance. Le premier est adopté lorsqu’une issue gratifiante est possible ; il consiste à maximiser ces gratifications, essentiellement en manœuvrant pour conforter notre position en entrant dans le jeu de la dominance pour notre propre intérêt. Les inégalités grandissantes, la concentration du pouvoir et de la richesse dans les mains d’un nombre de plus en plus réduit d’individus, le durcissement du poids hiérarchique dans les entreprises, sont les conséquences directes de tels comportements hédonistes et individualistes.

Lorsque la gratification individuelle devient impossible, comme Laborit écrit :

« confronté à une épreuve, l’homme ne dispose que de trois choix : combattre, ne rien faire ou fuir »

Mais toute fuite est devenue impossible, alors que les idéologies ont pris la place de l’information dans les flux qui nourrissent nos réseaux, et reposent sur nos émotions pour s’assurer notre allégeance. Les seules réponses qui restent à notre portée sont la soumission (ne rien faire) ou la rébellion. Angoisse ou colère, tels sont les choix disponibles lorsque nous essayons de résister aux idéologies en présence, une angoisse et une colère entretenues et nourries jour après jour par la nature des idéologies qui nous entourent et de celle des messages qu’elles véhiculent.

Vivre entre angoisse et colère ne peut être soutenable très longtemps, d’autant plus lorsque l’une s’oppose à l’autre. Laisser ces tensions s’accroître nous mènera mécaniquement vers un monde de méfiance grandissante, de haine et de désespoir. Est-ce le monde dans lequel nous voulons vivre ?

Qui va lentement va plus vite

Dans « La cinquième discipline » citée en début de ce billet, Senge a décrit ce qu’il a appelé les lois de la cinquième discipline, un ensemble de règles fondamentales qui devraient guider notre jugement et notre action lors de la pratique de la pensée systémique. La plupart d’entre elles, telle que « les problèmes d’aujourd’hui sont les solutions d’hier », sont familières à quiconque pratique le design thinking ou impliqué dans la résolution de problèmes sociétaux.

Mais, à une époque où nous préférons les réponses aux questions, l’efficacité à la précision, il est une règle que nous devrions considérer très attentivement, la sixième : « qui va lentement va plus vite ». Notre obsession pour la vitesse nous a fait accueillir les idéologies en tant que succédané low-cost à l’information. La dictature de la vitesse est, au-delà, du terrorisme, de la quête pour la richesse et le pouvoir, de la démagogie ou de la complaisance, ce qui nous entrainera le plus sûrement vers le chaos.

Tant qu’il s’agit de technologie, la Singularité peut bien être considérée comme un idéal à atteindre dans certains cercles intellectuels. Mais lorsqu’il s’agit d’humanité, ralentir n’est plus une option. Pour arrêter de faire du monde une place pire encore, c’est une nécessité. Il est temps de stopper la course à l’influence pour commencer à s’occuper, ensemble, de la réelle résolution de nos problèmes, au lieu de les camoufler derrière des idéologies nauséabondes.

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Design thinking, le revers de la méthode

Le design thinking est partout. Toutes les grandes entreprises déclarent l’utiliser d’une manière ou d’une autre pour stimuler l’innovation, et tous les endroits dédiés aux séminaires sont équipés de tableaux blancs et de Post-it. Une visite rapide aux Google Trends montre à quel point les recherches de conseil en design thinking sont de plus en plus populaires, tandis que la catégorie « conseil » en elle-même perd de son attrait auprès des dirigeants. Pourtant, malgré le vif intérêt continu qu’il suscite, le design thinking peine à tenir ses promesses. Mais adoptons-nous vraiment la bonne approche ?

design thinking google trends 2005 2016

Evolution des recherches pour « design thinking consulting » vs « consulting »

Sur les principes et les méthodes

L’ambition première du design thinking était de formaliser le processus du design, afin de fournir la capacité d’appliquer ce principe à toutes sortes de problèmes, de l’innovation produit aux problèmes de société irréductibles. Roger Martin, ancien doyen de la Rotman School of Management, et Tim Brown, CEO de l’agence de design IDEO, ont largement contribué à cette formalisation et aidé à populariser cette approche. Mais le coût à payer s’est avéré lourd.

Pour les dirigeants d’entreprise, typiquement des non-designers, pour être utilisables, les principes doivent se traduire en méthodologies. Et ainsi, le principe du design thinking, défini comme « une approche de l’innovation centrée sur l’humain, qui s’appuie sur les outils du designer pour intégrer les besoins des individus, les possibilités de la technologie, et les conditions premières du succès commercial » par Tim Brown, a été reconditionné dans le fameux leitmotiv « empathie-définition-idéation-prototypage-tests-et-itérations » pour passer les portes de l’entreprise.

Comme l’a si bien écrit Ralph Waldo Emerson : « si vous n’apprenez que des méthodes, vous serez liés à ces méthodes, mais si vous apprenez des principes vous pourrez inventer vos propres méthodes ». Saisir l’essence même d’un principe, expérimenter afin d’en comprendre les implications et le mettre en pratique peut s’avérer une tâche difficile, notamment dans le cas d’un principe émergent tel que le design thinking. Cela remettra en question bien des modèles mentaux et bien des a priori sur la manière dont vous pensez que le travail s’effectue. D’un autre côté, négliger les principes pour vous appuyer sur une méthodologie ne vous conduira que là où vous savez déjà pouvoir aller. La plupart du temps, les méthodes opèrent de façon prescriptive, comme des modes d’emploi qui vous amèneront à trafiquer le contexte et à faire fi des particularités pour vous conformer à des modèles tout faits.

En réduisant le design thinking à une méthodologie, aussi brillante soit-elle, conçue comme un outil pour ceux qui ne sont pas des designers, ses plus ardents défenseurs ont en fait mis en place les conditions de l’échec, comme l’a reconnu la d.school de Stanford elle-même.

Une approche sous influence

Quelle que soit l’utilité de la méthodologie « empathie-définition-idéation-prototypage-tests-et-itérations » pour encourager et former des individus — qui agissent d’ordinaire de façon linéaire — à penser de manière collaborative et « out of the box », cette méthodologie simplifie le processus du design à l’extrême. Comme tout designer expérimenté sait, ce processus est terriblement flou, constitué de nombreuses boucles et allers-retours du raisonnement. Même si le fait de laisser le champ du design aux seuls designers expose à de sévères revers, comme ce que j’ai appelé le problème du « designer gourou », le résumer en une méthodologie pour le mettre à la portée de tous dans le contexte de l’entreprise est source de nombreux aléas.

L’esprit humain est fait de telle sorte que nous avons tendance à revenir au sein de notre zone de confort dès que possible, même (voire d’autant plus que) si on nous incite à faire le contraire. Dans la plupart des entreprises, cela se traduit par une pensée et un mode de fonctionnement mettant l’accent sur le linéaire, la simplification et la rationalisation dans l’ensemble des activités et des tâches. Regardons comment ceci influence chacune des phases du design thinking en tant que méthodologie :

Empathie

Dans un monde professionnel de plus en plus régenté par les données, il est facile d’oublier que les chiffres ne donnent pas LA vérité. Ils donnent juste UNE vérité, celle que vous voulez qu’ils donnent. L’empathie ne se nourrit pas des données, elle se développe à partir de l’histoire qui se cache derrière. Construire une histoire à partir des données collectées sur vos clients et utilisateurs revient à vous tendre à vous-même un miroir.

Pour comprendre le contexte dans lequel vivent vos clients, vous devez marcher dans leurs pas, et comprendre réellement ce qu’ils cherchent à accomplir à travers vos produits et services. Vous devez aussi être conscient de ce que leur contexte n’est pas le vôtre ; à défaut de garder ceci à l’esprit, vous risquez de passer à côté des dimensions les plus larges du problème que vous cherchez à résoudre.

Définition

Les designers n’abordent pas un nouveau problème l’esprit totalement neuf, ils apportent leur expérience, leurs convictions et leur histoire de succès et d’échecs. Un grand designer observe le monde réel et fait des connexions que les autres ne voient pas, ce qui lui permet souvent d’entrevoir l’embryon d’une solution avant même que le problème n’ait été correctement défini, afin de déclencher de nouvelles recherches, le « générateur initial » décrit par Bryan Lawson dans son classique How Designers Think — The Design Process Demystified.

La plupart du temps, définir problème est affaire de raisonnement par abduction, une suite d’allers-retours entre la définition du problème et l’ensemble des conditions générées par le contexte, bien plus que d’une assertion telle que « comment pouvons-nous rendre notre produit|service|organisation plus attractif|utile ? »

Idéation

On croit généralement que l’idéation est ce qu’il y a de plus facile dans le design. Redonnez un peu de contexte (typiquement le problème à résoudre), distribuez quelques stylos et Post-its, et c’est parti. Le problème est que, à moins que ce ne soit délibéré, cette approche ne vous apportera pas ce que vous en attendez. « Grabage in, garbage out », comme disent les anglo-saxons. Les idées sont vos atouts les plus précieux, et doivent être traitées comme telles. Elles doivent être confrontées à votre définition du problème, donner une partie de la solution, clarifier ou souligner tel ou tel aspect du problème. Plus encore, le problème doit être challengé à la lumière des idées produites, affiné par de nouvelles preuves ou même totalement repensé. En fait, empathie, définition et idéation ne peuvent pas être dissociées, vous allez devoir mener ces trois activités en parallèle jusqu’à ce que vous soyez capable d’esquisser une solution. Dans le processus du design, la solution est indissociable du problème.

Prototypage

Au contraire de l’idéation, qui est considérée comme facile, la construction de prototypes est souvent vue par l’entreprise comme la phase la plus difficile, dès qu’il ne s’agit pas d’innovation produit. L’idée de prototyper un service, ou plus encore un système (comme la structure d’une équipe) au-delà d’un diagramme sur une feuille de papier apparaît comme une tâche insurmontable pour des gens pour qui le jeu ou l’expression corporelle sont incompatibles avec « l’étiquette » de l’entreprise. Ça ne parait pas assez sérieux à leurs yeux.

Pourtant, modéliser les interactions dans un jeu de rôle, ou ressentir un espace physique à travers des maquettes en taille réelle est la meilleure manière d’apprendre sur ce que cela pourrait donner « en vrai » et éviter bien des erreurs. Être sérieux sur ce qu’on essaye de créer n’implique pas forcément d’être ennuyeux ou bêtement conventionnel. Après tout, utiliser un processus créatif implique… d’être créatif.

Tests et itérations

Dans le contexte de l’entreprise, tout, ou presque, est considéré comme un projet. En conséquence, même dans le plus agile des environnements, tester et itérer se traduit souvent par « construisons une v0, puis nous ferons une v1, et préparerons une v2 ». Lorsque l’on designe des services ou des systèmes, cette approche amène habituellement à sélectionner les fonctionnalités les plus importantes pour bâtir un produit minimum viable (MVP), puis à planifier une implémentation plus large dans les versions suivantes.

Minute… Êtes-vous certains que vos fonctionnalités, soigneusement sélectionnées, sont celles auxquelles vos clients tiennent réellement ? Il s’agit, au contraire, de mettre en place dès la première version autant des fonctionnalités retenues pour les prototypes que possible, afin ensuite d’apprendre le plus possible en situation réelle. En limitant la proposition de valeur du départ, vous risquez de ruiner les efforts mis à comprendre ce dont clients et utilisateurs ont réellement besoin, et être incapables d’y fournir une réponse adéquate.

Oser

En tant que méthodologie, le design thinking n’est pas, et de loin, la panacée qui permettra à l’entreprise de se transformer. Pas plus que ne l’est la fameuse transformation digitale dont nous entendons parler jour après jour. En fait, aucune méthodologie ne le sera jamais, car elles ont peu de chose à offrir au-delà de ce dont les entreprises sont déjà capables. S’adapter au monde incertain, volatile et complexe dans lequel nous vivons à présent nécessite d’oser prendre des chemins plus audacieux, et de renoncer au contrôle à tout prix pour être capables d’expérimenter avec des principes nouveaux, parfois perturbants, mais souvent gratifiants, plutôt que de simuler.

Mise à jour du 20/05
Designer met en jeu un processus complexe. Un processus qui implique doute, foi, essais et erreurs, et la remise en cause continue des hypothèses que vous êtes en train de construire, au niveau macro autant que micro. Malheureusement, ceci ne laisse que très peu de place pour les certitudes ou les solutions « absolues ». Par nature, la complexité est fractale. Davantage qu’une méthodologie, et pour être réellement utile, le gimmick « empathie-définition-idéation-prototypage-tests-et-itérations » du design thinking doit être compris et utilisé comme une sorte de « méta-méthodologie », comme rien d’autre… qu’un prototype, qui nécessite d’être testé, bidouillé, voire même complètement réinventé en fonction du contexte spécifique qui est le vôtre.

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