Ce billet pourrait ressembler à une carte postale de vacances, et en est une d’une certaine manière. L’été offre toujours une belle opportunité pour se débrancher, prendre du recul et penser de manière un peu plus critique. Il faut admettre que tandis que nos habitudes de consommation changent à un rythme soutenu, en résultant de la co-évolution féroce entre les appareils et services connectés à internet aujourd’hui à notre disposition et les comportements que ces services induisent, les technologies sociales ne sont pas encore en train de transformer le quotidien des entreprises.
De la roche vers le flux
Nous avons appris que ce problème est au moins autant culturel (acquérir l’état d’esprit adéquat) que technologique (mettre en place le bon outil pour la bonne tâche). Mais la technologie elle-même ne devrait-elle pas être considérée sous l’angle des comportements, alors que le lieu de travail lui-même conditionne nos comportements ? Malheureusement, les études sur les relations existant entre la technologie et le comportement organisationnel sont extrêmement rares.
De plus, la plupart des outils sociaux destinés aux entreprises imitent plus ou moins les outils et services que nous utilisons dans notre vie privée. Même si l’époque du «Facebook pour l’entreprise» semble révolue, la plupart des éditeurs de plateformes sociales s’attendent à ce que nous nous comportions de la même manière sur le réseau de l’entreprise que sur l’internet. Mais des différences de comportement existent réellement. Catherine Lejealle, par exemple, a démontré comment l’usage privé et professionnel d’une technologie aussi «simple» qu’un téléphone portable sont influencés par le sexe de son propriétaire.
Afin d’être adoptées avec succès par le plus grand nombre, les technologies sociales nécessiteront bien plus d’adaptation, notamment sous l’angle de la psychologie organisationnelle, que d’adoption. La roche n’est pas un environnement qui convient bien à la nage. Etablir un parallèle avec l’introduction de l’email en entreprise est une erreur grossière, qui ignore le fait que l’email, avant d’être utilisé par chacun d’entre nous, est né dans des cercles hautement professionnels.
Plonger sous les flux
De nos jours, il semble qu’il y ait un consensus parmi les acteurs de l’entreprise 2.0 / social business sur la nécessité d’incorporer la collaboration dans le flux de travail, dans un but en apparence pieux: faciliter l’accomplissement des tâches. En procédant ainsi, nous commençons à être capables de mesurer des gains de productivité et d’efficacité. La diffusion du savoir, la plus grande autonomie des travailleurs en situation de résolution de problèmes, sont évidement des résultats positifs, et on peut supposer que la généralisation de la collaboration va éroder les structures hiérarchiques actuelles. Les flots sociaux finiront par dévorer les falaises de l’organisation. Mais en avançant cela, sommes-nous réellement en train d’aider les entreprises à s’adapter aux conditions et marchés actuels, turbulents et imprévisibles ?
Depuis l’invention de la machine à filer automatique en 1764 par James Hargreaves, la technologie a avant tout été utilisée pour renforcer l’homogénéité des entreprises, la répétabilité et la prédictibilité de leurs opérations. Le travail a progressivement pris la forme du flux hautement spécialisé de tâches que nous connaissons tous aujourd’hui, enchâssé dans des processus plus ou moins rigides, pour permettre aux organisations de poursuivre ce que John Hagel appelle leur quête pour une efficacité évolutive.
Mais la durée de vie des entreprises se réduit à vitesse alarmante, prouvant, si besoin était, que le modèle actuel est brisé. Il y a une certaine hypocrisie à promouvoir les technologies collaboratives à l’échelle du flux de travail, renforçant ainsi le credo des entreprises dans la performance par l’automatisation, tout en pensant (ou simplement espérant) que les comportements collaboratifs vont en même temps remettre ce credo en question. Au lieu d’améliorer les flux de travail actuels, ne devrions-nous pas plutôt plonger sous ces flux, et nous atteler à introduire le collaboratif, non pas au niveau du travailleur, mais directement à celui du business lui-même ? Nous devons envisager les challenges et les opportunités que les plateformes sociales présentent à la structure même des entreprises, afin de les aider à anticiper et à faire face à l’une des plus importantes transformations depuis la révolution industrielle. Ce chemin, j’essaye à ma modeste échelle de le suivre depuis que j’ai lancé le projet Future of Collaborative Entreprise, projet qui entrera bientôt dans sa seconde phase, avec une nouvelle vague d’interviews.
Frapper la falaise – au sommet
Mettre en route des technologies collaboratives au niveau de l’entreprise, et non à celui des travailleurs, signifie aller au-delà des communautés et du partage du savoir. Sur l’internet grand public, ces technologies modifient non seulement nos comportements, mais aussi la manière dont nous les considérons. Les services en contact avec les clients sont ceux qui sont le plus brutalement confrontés à ces changements. Le marketing ne peut plus ignorer les nouveaux comportements client induits par notre environnement hyper-connecté. Les clients ne sont plus des consommateurs passifs vers lesquels les entreprises peuvent simplement pousser produits et services. Nous devons tenir compte du fait qu’ils interagissent, écoutent, réagissent. Ils ont des besoins, des attentes, et, encore plus significativement, ils cherchent à accomplir une tâche (ce que Clay Christensen nomme leur job-to-be-done).
Les technologies collaboratives et sociales nous offrent l’opportunité unique, non seulement de travailler différemment, mais aussi de penser différemment au pourquoi et comment de la manière dont le travail s’accomplit. Pourquoi ne sommes nous pas déjà en train d’essayer d’utiliser à l’intérieur des entreprises les mêmes prismes que nous commençons à utiliser dans le monde de la consommation ? Ils auront eux aussi besoin d’être adaptés, mais n’est-il pas paradoxal de constater que, tandis que nous sommes en train de promouvoir l’usage d’outils et de services issus du public dans l’univers corporate, nous considérons cet univers comme entièrement déconnecté et séparé du reste ? Les processus ne sont pas l’épine dorsale des entreprises, mais la réponse dépassée au job-to-be-done de leur direction générale.
Afin de soigner nos organisations malades et de mettre à profit le pouvoir des interactions humaines, nous devons commencer au niveau de la stratégie, tout comme le marketing doit considérer les produits en se plaçant du point de vue du client. Nous ne pouvons pas nous contenter d’AGIR «social», non devons PENSER «social», et la manière dont il s’inscrit dans et fait progresser le rôle de l’entreprise. C’est, quoi qu’il en soit, la direction que j’essayerai de suivre avec ma nouvelle société de conseil, Transitive Society.