Derrière ce titre emprunté à Debussy se cache (pour moi du moins) une question grave: pouvons-nous encore remplir correctement notre rôle de parents dans une société saturée d’information ? Plus que des transformations sociétales, nous vivons aujourd’hui des modifications en profondeur de la manière dont l’information, dans son sens le plus large, à savoir comprenant aussi bien l’exposition au savoir que celle à l’abjection, se confronte à nous et à nos enfants.
Des études récentes ont montré que plus du tiers des enfants français de 8 ans ont la télévision dans leur chambre. Que ce chiffre paraisse alarmant ou évident, notre rôle de parents face à l’image télévisée reste relativement simple: proscrire la machine en certaines occasions, à certaines heures ou sur certaines chaînes, ou enseigner à nos enfants une manière différente de regarder, les éduquer face à l’image, leur donner un bagage, sinon critique, du moins affectif suffisant pour leur permettre d’affronter ce qui leur est présenté.
Malheureusement, si la nature de la TV est exclusivement linéaire et standardisée, il en va autrement de l’internet, interactif et individualisé par essence. Un rapport officiel remis ce jour au ministre de la Santé présente des faits alarmants (selon l’AFP). Que la violence, les pratiques commerciales douteuses, la pédophilie et le racisme soient présents sur le net, voila qui n’est pas nouveau. Mais il semble que de plus en plus d’enfants y soient exposés, et de plus en plus jeunes.
Face à ces faits, le ministre de la Santé prévoit de mettre en œuvre certaines mesures, dont le fait de mettre à la disposition des parents des dispositifs de contrôle de navigation performants. Soit. Mais n’est-ce pas là une nouvelle politique de l’autruche ? Tout le monde (les internautes aguerris du moins) sait que ces logiciels sont aussi performants que les logiciels anti-virus du commerce: ils ne protègent que des dangers déjà identifiés, qui sont de loin les moins dangeureux. Et n’est-ce pas également une manière à la fois de déculpabiliser les parents, en leur offrant un garde-fou virtuel, et de rejeter sur eux une responsabilité qui, au vu de la globalisation de l’information et de sa diffusion, est de plus en plus hors de leur portée ?
La sensibilisation à l’informatique à l’école élémentaire n’en est encore qu’à ses balbutiements, alors que se posent aujourd’hui de manière brutale des problèmes d’éthique et de morale. Les adolescents ont depuis longtemps dépassés leurs parents dans la pratique des réseaux, tandis que le Brevet informatique et internet se borne à diffuser des connaissances de base des navigateurs et des tableurs aux collégiens. Je comprends la nécessité de réduire la proclamée “fracture numérique”, mais je conçois mal aujourd’hui la démission flagrante de l’éducation nationale face à ces nouveaux problèmes sociétaux. L’évolution de plus en plus rapide des technologie fait que les parents vont de fait se trouver de plus en plus démunis face aux comportements de leurs enfants. Là est la vraie fracture, et celle-ci n’a aucune chance de se réduire. Et si aucune volonté politique ne se manifeste pour donner aux enseignants en charge de nos enfants les moyens de les accompagner dans la découverte du monde online, qui s’en chargera ? Personne ne peut sérieusement croire que des logiciels détiennent une clef de ce problème, et en tant que parent, je ne peux que m’alarmer face à la désinvolture des services publics.
L’enfant et les sortilèges n’est pas une oeuvre de Debussy mais de Ravel (sur un texte de Colette) !