C’est une très riche et intéressante exposition que nous offre cet été le Palais de Tokyo : “Translation”. Riche, parce qu’elle présente des œuvres tirées de la collection de Dakis Joannou, l’une des plus grandes collections privées d’art contemporain en Europe, œuvres d’artistes aussi importants que Joseph Kossuth, Takashi Murakami, Jeff Koons ou Nari Ward. Intéressante, parce que le parti pris des commissaires de l’exposition est tout sauf orthodoxe. La présentation a été chorégraphiée, dé-structurée par deux graphistes dont la démarche a toujours été étroitement liée à l’art contemporain: les M/M (Paris), une signature qui recouvre le travail à quatre mains de Michæl Amzalag et Mathias Augustyniak.
Plus qu’une exposition, loin d’une confrontation, à l’opposé d’une mise en situation, le résultat est une sorte d’inter-fertilisation, de subtile mutation autour et entre les œuvres présentées. Chacune témoigne en effet d’une étonnante juxtaposition de cultures et de références, et vient entrer en résonnance avec l’environnement créé pour chacune d’entre elles par les M/M. Je pourrais citer l’installation de Nari Ward (Amazing Grace), où la ferveur de chants gospell se mêle à une sérénité d’esprit très zen, le tout chahuté par les typographies violemment urbaines des M/M. Ou également la force primitive d’une toile de Michæl Bevilacqua (“Tomorrow comes today”), plaquée sur un parchwork de posters (“Wall on Wall”) représentant le mur nu et décrépi du Palais, tel qu’il est derrière les panneaux lisses et blancs de l’espace d’exposition.
L’exposition chahute beaucoup d’idées reçues sur l’art contemporain et sur sa muséographie, et il est dommage que, comme souvent d’ailleurs, le texte de présentation qui l’accompagne semble si souvent tomber à côté de la plaque. Il parle d’artistes en train de “traduire leur particularismes culturels”, alors qu’il s’agit bien plus pour moi d’une hybridation, d’un métissage revigorants. Je n’y vois aucune “résistance à l’uniformisation des cultures”, mais au contraire un abondon salutaire à leur multiplicité et à leur interpénétration.
J’ai juste peur que cette exposition, qui n’est certes pas conçue pour les profanes, soit à l’opposé de la volonté du Palais de Tokyo de démocratiser l’art contemporain. Mais cette peur est compensée par un plaisir -réel-, celui d’avoir vu une exposition qui dérange mes certitudes, qui m’enthousiasme, qui m’ouvre de nouveaux horizons esthétiques.