Les processus business sont récemment devenus un sujet très en vue au sein de la communauté de l’Entreprise 2.0, notamment depuis la conférence de Boston. Il semble que soudainement le discours a évolué d’un point de vue très orienté leadership vers des prises de vue beaucoup plus terre à terre dignes d’un éditeur. Pragmatisme? Je crois plutôt que cette approche possède graves défauts, ce sur trois plans au moins: le concept même de processus, la gestion du savoir et la prise en compte des clients.
Lorsque les chats sont appelés des chiens
J’ai récemment écrit, à propos de SAP STreamWork, que malgré ce qu’il promet, ce nouvel outil n’est pas une solution de prise de décision collaborative, mais permet une meilleure analyse de problème en mode collaboratif, ce qui n’est pas, et de loin, la même chose. Confondre le moyen avec le but est une tactique intelligente: elle permet l’adoption fluide d’un outil par ailleurs utile dans les processus existants, avec le bonus «hype» entourant les technologies 2.0.
De façon beaucoup plus subtile, Bertrand Dupperin a commis une erreur fréquente dans l’un de ses derniers billets: «Processus et community management par l’exemple». Ce qu’il appelle «processus» est en fait un cycle de vie de ressources, décrivant qui est impliqué, quand, en relation avec qui, alors qu’un processus est une suite d’actions permettant de progresser le long de ce cycle de vie. Remplacer les individus par des communautés au sein du flux constitue bien entendu une amélioration du cycle de vie tout entier, mais n’a de facto pas d’impact sur le design ou l’exécution du processus proprement dit. Cette différence est importante, parce que les processus ont été développé pour minimiser la variabilité et les risques, facilitant et optimisant spécifiquement les opérations lorsque différents silos, différentes logiques opérationnelles, fonctionnent en parallèle au sein d’organisations et/ou opérations compliquées. De plus, ces processus sont designés afin d’être le plus indépendant possible des individus. Ils sont typiquement mis en place pour éviter de «réinventer la roue»; mais que se passerait-il si le fait de mettre un réseau ou une communauté à contribution engendrait une solution n’impliquant aucune roue du tout ? La prévisibilité est la raison d’être des processus et, à moins de les découper en séquences adaptatives, beaucoup plus courtes, ce qui est en contradiction avec leur objectif de recherche d’efficacité, socialiser le cycle de vie des ressources n’aura aucun effet positif sur les processus en place, au-delà de permettre d’intégrer des technologies 2.0 au sein des workflows. Pour quiconque pensant que l’Entreprise 2.0 représente d’avantage que de la technologie, ceci est clairement une impasse.
Les processus sont une taylorisation du savoir
Cecil Dijoux a rappelé l’intéressante distinction faite par Michael Grives entre processus et pratiques. Malheureusement, les pratiques, construites à partir des comportements, et non à partir d’un résultat le plus invariable possible, restent peu capables de nous fournir le moyen de mettre le travail collaboratif à profit. Lorsqu’il s’agit de gérer le savoir, ils se comportent tous deux quasiment de la même manière, fossilisant la pensée au travers de procédures formelles.
Favoriser l’usage du savoir tacite, qui représente 80% du savoir disponible en entreprise, requiert un cadre bien plus flexible que ceux que nous proposent processus et pratiques. Le savoir est variable, flou, complexe, et brouillon. En mettant en place des règles automatiques de workflow, en supposant que les conditions d’aujourd’hui sont identiques à celles d’hier, les processus découpent le savoir en morceaux d’information répétables et orientent la prise de décision, exerçant une division du savoir semblable à la division du travail telle qu’imaginée par Adam Smith. Socialiser les processus business ne bénéficiera pas d’une forme collaborative du travail, mais d’un travail coopératif spécialisé. Le seul aspect des processus qui pourrait tirer pleinement parti de l’intégration de formes collaboratives du travail est la notion de propriété du dit processus.
L’entreprise centrée client
Les processus ont, en plus d’un propriétaire, des clients. Satisfaire un client interne est généralement affaire de connecter des points, ce qui signifie souvent produire un résultat prévisible au moyen d’actions connectées et répétables. Ce qui serait acceptable, indépendamment des deux points précédents, tant que des clients externes ne sont pas impliqués. Mais le web social est train de transformer radicalement la manière dont les individus agissent et réagissent, et continuer à interagir avec des clients à travers des processus business est un non sens absolu. Si la capture du savoir tacite en interne de façon fluide et non déterministe représente un véritable challenge, ignorer le savoir qu’ont nos clients au sujet de nos produits et services deviendra bientôt suicidaire. Les processus, avec leur incapacité à prendre en compte le savoir incertain, non reproductible, sont le moins approprié des outils lorsqu’il s’agit d’entretenir une relation quelconque avec vos clients.
Minute, nous avons besoin de processus
Oui, nous avons besoin de processus business. Non pas tels que nous les connaissons aujourd’hui, gouvernant nos entreprises de bout en bout, mais nous avons besoin d’eux en tant qu’infrastructure, afin de libérer les travailleurs du savoir de tâches compliquées, y compris collectives. Mais ils doivent être considérés comme des outils mis à notre disposition, et non comme la colonne vertébrale de nos entreprises. De plus, toutes les entreprises ne sont pas destinées à se transformer en social business, tous les produits et services ne sont pas destinés à être l’objet de discussions sur le web social. Le futur de l’entreprise est constitué à la fois de marques et de produits et services de base, ce qui sera le sujet de mon prochain billet.
Je ne pense pas avoir tout compris de ce que désire expliquer ce billet (qui dit que les processus gouvernent l’entreprise et qu’ils sont autre chose que des moyens de production ?), mais il m’a rappelé celui-ci de B. Duperrin : http://www.duperrin.com/2009/05/12/lentreprise-20-composante-de-lentreprise-globale/
Oui, le processus métier est fixe et non socialisable, tant qu’on en suit les rails. Il a pour but de produire des services standard. Mais dès qu’on s’écarte du standard, que ce soit parce qu’on tombe sur :
– un cas non prévu (parce qu’on pensait que c’était impossible, qu’on l’a oublié, ou que le contexte a changé),
– une exception (peut-être une demande spéciale d’un client important) ou une urgence,
– un problème technique ou humain qui fait que le processus s’est planté à un moment
– …
alors, il faut savoir embrayer, et c’est là que le social prendra son sens pour permettre de résoudre le problème, et d’accélérer le retour à une situation normale. Il permettra ensuite de formaliser rapidement la situation rencontrée pour l’intégrer au processus. La veille et le socialisation permettront également de faire évoluer “naturellement” (sans attendre une urgence) les processus.
Il est également possible, au sein d’un processus, de gérer des parties socialisables : par exemple sur un formulaire client de demande de service, on va intégrer un champ “suggestion d’amélioration”, dont le traitement suivra une procédure très différente du reste des données et moins strictement formelle. N’est-il pas souhaitable de combiner quand même les deux aspects, du point de vue du client ?
Par ailleurs, je pense que le “qui fait quoi” (et comment) fait bel et bien partie du processus, et non du cycle de vie de la ressource, qui ne mentionne que les états du produit et les passages d’état possibles ou impossibles. La référence indiquée le dit d’ailleurs clairement sous la figure 2. La notion de Service (technique, informatique) dans la suite de cette référence est différente de celle de processus organisationnel (qui est, pour moi, l’acceptation courant du terme de processus métier, différente en effet de celles des solutions d’infrastructure informatique BPM).
Bien que partageant ce point de vue sur un plan philosophique, je crains que la réalité ne soit beaucoup plus terre à terre !
Le contexte économique et l’évolution des consommateurs sur Internet déplacent le business de façon rapide. Le commerce bascule doucement mais surement et les entreprises se cherchent afin de ne pas rater le virage et finir l’année 2010 en équilibrant leurs comptes. Les medias et réseaux sociaux constituent un canal de distribution de produits et services en croissance. Tous les moyens seront bons pour rattraper le manque à gagner des processus business 1.0
Je ne pense pas que nous soyons prêts en France, mais je suis sur que nous n’avons plus le choix.
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