Une fois n’est pas coutume, j’aimerais vous raconter une petite histoire. Lorsque, l’autre jour, nous sommes arrivés ma compagne et moi à notre maison de campagne, nous avons trouvé une lettre de l’entreprise de distribution d’eau dans la boîte aux lettres. Elle nous informait que, n’ayant pu accéder à notre compteur d’eau depuis plusieurs années, ils nous coupaient l’eau. Le compteur, qui est situé dans le jardin, donc derrière un portail fermé, est relevé un fois par an. Avant notre rencontre, ma compagne avait vécu ici pendant plusieurs années, mais nous ne venions désormais que pendant les weekend et certaines vacances. Il est inutile de dire que nous continuons à payer consciencieusement tous les mois une facture basée sur le précédent relevé, et, franchement, la consommation d’eau ayant fortement baissé, je pense que la compagnie de distribution nous doit une somme non négligeable.
Le problème est que l’employé de la compagnie ne travaille pas le samedi, et qu’il n’y a aucun moyen de communiquer notre index à distance, ou de toute autre manière envisageable: en ligne, par téléphone, par courrier, voire par pigeon voyageur. De plus, le relevé de compte est effectué en juillet, un mois où beaucoup de gens sont absents. L’accès à l’eau étant un droit inaliénable, la loi française prévoit l’obligation de laisser un droit d’accès réduit à ceux qui ne payent pas leur facture; par contre, il n’y a aucune loi concernant l’impossibilité de relever le compteur pendant deux ans consécutifs, et donc, ils nous ont tout simplement coupé l’eau.
Il a fait très chaud en juillet, et comme nous n’avions aucun moyen de faire la vaisselle ou de prendre une douche, nous avons décidé de repartir. La maison est située dans un petit village, où tout le monde se connait plus ou moins, et ma femme a également fait partie du conseil municipal lorsqu’elle habitait sur place. Sur le chemin, nous soles passés devant la mairie, devant laquelle se tenait le maire avec plusieurs autres personnes. Nous nous sommes arrêtés pour dire bonjour, et leur avons raconté notre histoire stupide. «Vous payez vos factures ?» , a demandé le maire, «c’est fou qu’ils vous aient coupé l’eau. Ne vous en faites pas, j’ai la clef qui ouvre la vanne. Attendez-moi, je vais vous l’ouvrir». Quelques minutes plus tard, il revenait avec une de ces grandes clefs en forme de T, et l’eau coula à nouveau…
Cette vague qu’on appelle la vie
Cette petite histoire illustre parfaitement, je pense, le monde d’aujourd’hui et l’environnement dans lequel nous vivons. D’un côté, les entreprises, grêlées par des procédures rigides et des processus abstraits, ont perdu contact avec les comportements, les besoins et les attentes de leurs clients. De l’autre côté, nous nous organisons de plus en plus en réseaux locaux informels, afin de suppléer aux déficiences structurelles des organisations supposées nous fournir les services de base dont nous dépendons (pensez aux banques, aux fournisseurs d’énergie,, aux télécoms, a l’immobilier, aux transports; pensez aux gouvernements et aux services publics; pensez au dernier cauchemar traversé en contactant un service client). Nous nous connectons, nous interagissons, partageons, empruntons, nous aidons les uns les autres en fonction de nos compétence et de notre bonne volonté. Les communautés locales sont le nouvel eldorado, comme vient de commenter Jon Husband sur Facebook. Elles sont notre réponse a l’incertitude et à la complexité du monde dans lequel nous vivons. En fait, elles l’ont toujours été. Depuis des temps immémoriaux, les êtres humains se sont rassemblés en tribus pour survivre dans des environnements hostiles. Même si les médias sociaux ajoutent une dimension globale, instantanée, a notre besoin d’appartenance, ils ne représentent que l’écume d’un phénomène profond et bouillonnant: une vague que l’on appelle la vie.
Beaucoup d’entreprises se sont développées dans un monde de certitude et de régularité qui ne correspond plus au nôtre. La plupart des comportements business continuent à se définir en fonction d’une ère de consommation standardisée et de croissance prévisible. Productivité, compétitivité, profitabilité, tous ces mots qui gouvernent l’univers corporate, ont un goût de linéarité qui ne correspond plus à notre âge de demain-est-vraiment-un-autre-jour. Aveuglées par leur propre survie, beaucoup d’entreprises ont perdu contact avec le monde réel, et le fossé s’agrandit entre la manière dont elles opèrent et celle dont leurs clients vivent. Ce n’est pas uniquement une tromperie su tutelle, mais aussi un suicide économique. Des millions, si ce n’est des milliards, sont gaspillés tous les jours en procédures inutiles et insensées; dans ma petite histoire, nous avons été facturés pour l’intervention du technicien venu fermer la vanne, mais l’amende ne suffisait pas a couvrir le temps passé (il a certainement passé du temps a chercher la vanne, cachée par la végétation), l’essence consommée et l’amortissement de son véhicule, c’était typiquement une situation perdant-perdant.
Des communautés locales, pas des clients
L’expérience client et le big data sont en train de devenir des sujets à la mode, ce qui signifie que les entreprises sont en train de réaliser que les choses vont mal. Hélas, elles continuent à plaquer de nouvelles notions sur de vieux mécanismes: le ciblage comportemental est bien moins affaire de comportements que de ciblage, et les médias sociaux sont bien souvent un nouveau canal pour nous entraîner vers l’enfer du service client. Bien sûr, les entreprises connaissent leurs clients de mieux en mieux, parce que nous laissons de plus en plus d’empreintes en ligne, et que la technologie nécessaire pour corréler ces données est à notre disposition. Mais connaître signifie-t-il… Comprendre ? Définitivement pas.
On n’apprend pas l’ébénisterie dans un livre. Comme pour tout artisanat, il faut observer un ébéniste, discuter avec lui, essayer par soi-même sous sa direction, pour pleinement comprendre ce qu’il fait et pourquoi il le fait. Il en est de même avec des clients. Pour les comprendre, les entreprises vont devoir marcher dans leur pas pour apprendre leurs intentions véritables. La plupart des entreprises doivent reconsidérer la manière dont elles conçoivent leurs services. Comme l’écrivait récemment Helen Clarkson, directrice du Forum for the Future:
«Mais par-dessus tout nous savons que notre paradigme économique actuel n’est pas soutenable. C’est pourquoi au Forum nous parlons de créer #theBIGshift – un changement pour un nouveau paradigme. Cela signifie trouver de nouvelles façons pour le fabricant de machines à laver de trouver un business modèle soutenable (louer les machines et récupérer ma monnaie, par exemple) plutôt que de paniquer et de renvoyer sa force de vente.»
Mais, bien que nécessaire, ce n’est pas suffisant. Notre conception actuelle de l’avènement d’une nouvelle économie du partage est encore entachée de préceptes hérites du passé. Au lieu de penser en termes de clients, nous ferions mieux de commencer à penser en termes des communautés locales qui se forment pour compenser l’incapacité des entreprises à s’adapter aux attentes de leurs clients. Au lieu leur vendre, louer, ou quelque-business-modèle-que-ce-soit (les vieux réflexes des marketeurs ont la vie dure), les entreprises devraient se transformer en organisations légères pour construire leur business AVEC elles. Que se passerait-il si, au lieu de gaspiller de l’argent à cause de procédures obsolètes, notre compagnie de distribution d’eau avait délégué le pouvoir d’ouvrir et de fermer les vannes à la municipalité ? Que se passerait-il si, au lieu de considérer les communautés locales comme des clients, les entreprises se mettaient à les supporter activement, les considérant comme les parties prenantes d’une économie plus durable ?