Le savoir: chat du Cheshire ou chat de Schrödinger ?

Ce billet est cross-posté sur le blog carnival ecollab.

Une imposante littérature existe sur l’importance capital du savoir dans la gestion des organisations, et la notion grandissante d’entreprise en réseau met encore davantage l’accent sur le rôle de l’apprentissage informel et du partage du savoir dans les interactions humaines en entreprise. Le sujet de l’Entreprise 2.0 n’est la technologie ni les hommes, le sujet principal de l’Entreprise 2.0 est la capture et la mise à profit des flux de savoir qui circule à l’intérieur et entre les entreprises. Mais « capturer » le savoir est plus ou moins comme de capturer l’air que nous respirons. Si le savoir était un animal, ce serait avec certitude un chat. A la fois un chat du Cheshire et un chat de Schrödinger.

Le savoir est un chat du Cheshire

Aussi innocent que le mot paraisse, définir le « savoir », notamment en relation avec l’ « information », n’est pas chose facile. L’Anglais, d’ailleurs, traduit indifféremment « savoir » et « connaissance » par « knowledge ». Le savoir englobe l’ensemble des productions symboliques humaines (qu’il s’agisse de concepts, de données, de méthodes, de philosophies…) et est indépendant de l’individu. La connaissance, quant à elle, se rapporte à l’appropriation du savoir par l’être humain. C’est un processus jamais achevé de compréhension, dans le sens spirituel du terme (voir par exemple à ce sujet l’article de Florence Meichel ou celui de René Barbier). La plupart des définitions modernes du savoir reconnaissent sa nature sociale, intégrant la valeur dans un contexte.

Ainsi, la même information n’aura pas la même signification et importance selon le contexte dans lequel elle est acquise ou apprise. La manière elle-même dont nous apprenons cette information fait partie de son héritage contextuel, faisant ressembler le savoir au chat du Cheshire : dès que vous pensez être capable de le formaliser, il a déjà pris un sens différent dans un autre contexte, vous laissant avec une information morte, pratiquement inutilisable. Tout Knowledge Manager sait à quel point la réutilisation du savoir formalisé est difficile.

Une vision idéalisée de l’entreprise en réseau serait de permettre les flux de savoir circuler librement sans n’être aucunement formalisés. Cependant, nos entreprises ont le besoin indispensable de formaliser l’apprentissage informel, notamment pour des questions qui touchent aux ressources humaines. Comme le soulignait récemment Jon Husband :

“on trouve également une dissonance ou une competition de plus en plus grande entre les méthodes utilisées par les formes et activités organisationnelles structurées et définies, et la masse grandissante des flux hyperliés dans lesquels le savoir et le sens sont construit couche après couche, échange après échange »

Les structures organisationnelles, la qualification des postes et l’appréciation des apprentissages impose d’être capable de mesurer d’une manière ou d’une autre l’apprentissage informel, et donc en quelque sorte de le formaliser. Plutôt que de prétendre utopiquement à formaliser le savoir, les entreprises sont en fait capables de formaliser et de mesurer ses effet (pensez au sourire du chat du Cheshire) : compétence accrue à résoudre des problèmes, capacité au mentorat ou au coaching,…

Le savoir est un chat de Schrödinger

Il est de plus illusoire de vouloir considérer le savoir comme étant soit formel soit informel. Tout « morceau » de savoir est paradoxalement un artefact à la fois formel et informel  et, tout comme dans le paradoxe du chat de Shrödinger, il est impossible d’affirmer quoi que ce soit avant que nous ne l’ayons utilisé. Tout parent sait que l’acquisition du plus formel des savoirs par un enfant est en fait conditionné par la relation qu’il entretient avec ses professeurs.

Les technologies du Web 2.0 nous permettent de formaliser l’informel, nous permettant de taguer, commenter, recommander contributions et documents, leur ajoutant une couche contextuelle tangible et interactive. A l’opposé, les brevets figurent parmi les pièces de savoir les plus formelles qu’il soit. Mais l’utilisation d’outils d’analyse des réseaux adéquats en révèle la nature informelle cachée. En mettant à jour citations, commentaires, références et motifs d’influence dans les groupes de brevets et d’examens, l’analyse des réseaux met en lumière d’intangibles relations entre eux. En changeant notre angle de vue sur le savoir, nous sommes capables de le considérer soit comme formel, soit comme informel, passant d’un artefact à l’autre.

Les design est un autre exemple marquant de ce « changement d’artefact », qui transforme les informations informelles recueillies auprès des clients, à propos de leurs comportements, de leurs conversations et de leurs désirs, en objets formels. C’est cette existence paradoxale qui, bien que difficile à metre à profit, conserve le savoir vivant et utile.

This entry was posted in Francais, Vu, lu ou entendu and tagged , . Bookmark the permalink.

One Response to Le savoir: chat du Cheshire ou chat de Schrödinger ?

  1. SylvieLeBars says:

    Très bon article, très créatif, deux belles images pour illustrer le savoir. Merci 🙂

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Loading Facebook Comments ...