Chaque fois que je lis ou entends le mot «marque» associé à «social», je tique. Non pas à cause de l’inflation blogosphérique autour de ce genre d’association, mais parce qu’une grande partie de cette inflation révèle une vision périmée – et souvent dommageable – de ce que «marketing» et «marques» signifie dans notre contexte hyper-connecté. Je ne m’étendrai pas sur le marketing, que Greg Satell (@Digitaltonto) a récemment et intelligemment enterré dans les grandes largeurs, mais les «marques» ont leur mot à dire, un mot quelque peu différent de ce que les «marketeurs en médias sociaux» (snif) essayent de nous faire croire.
L’évolution du branding
Bien que les marques existent depuis bien plus longtemps, le branding «moderne» est une émergence typique de l’ère industrielle et de la consommation de masse. Cette consommation de masse allait de pair avec la production de masse, et à cette époque, les marques représentaient un critère différenciateur nécessaire pour des produits plus ou moins semblables, se disputant une place dans des catégories encombrées. Bien qu’elles aient pour but, déjà à l’époque, de favoriser la loyauté des consommateurs, les marques étaient des outils directement liés aux produits sur lesquels elles étaient apposées, ainsi qu’à leurs qualités (parfois supposées) tangibles. En d’autres termes, les marques étaient la couche intermédiaire à travers laquelle les entreprises poussaient leurs produits, et leur communication, vers les clients: apprends à me connaître, et tu m’achèteras davantage.
La signification des marques, et la compréhension que nous en avons, s’est modifiée au cours du temps. De «créées par l’entreprise» (transmettant consciemment des faits et des valeurs attachés aux produits), elles sont devenues «investies par les clients» (construites dans l’esprit des clients au cours de leur expérience avec les produits, selon la perception qu’ils ont des valeurs sous-entendues dans leur interaction avec l’entreprise). Vous pouvez lire une très belle analyse de cette évolution dans “The evolving brand logic: a service-dominant logic perspective», de Steve Vargo, Yi He and Michael Merz.
Les personnes, pas les marques
Les employés et les communautés de clients font également partie intégrante de la création de valeur des marques. Celles-ci ont acquis de nouvelles dimensions au travers des ressources humaines (notamment en ce qui concerne la notion de marque employeur) et de la responsabilité sociale d’entreprise. Pourtant, le même paradigme prévaut toujours: les marques sont un filtre à travers lequel les entreprises, les clients et leurs écosystèmes et réseaux respectifs communiquent et créent de la valeur. A une époque où les interactions et les conversations importent à présent plus que les comportements individuels, et tandis que nous commençons à comprendre comment et combien elles les influencent, ce concept n’a plus de valeur.
Les interactions sont une affaire de personne à personne, elles impliquent des gens, et non des marques. Qu’il s’agisse d’un représentant du service client, d’un vendeur, d’un community manager, d’un autre client, d’un proche, lorsqu’il est question de conversations et d’engagement, il s’agit toujours d’échange de savoir entre deux êtres humains. Point final. Personne, à moins d’être fou furieux, n’a jamais entretenu une conversation avec une marque. Dans ce contexte, parler de l’engagement d’une marque est un non-sens absolu.
De filtre à attracteur
Les marques n’ont plus aucune raison de rester dans le chemin entre les gens. J’ai auparavant défini une marque comme un attracteur étrange dans le système complexe formé par les entreprises, leurs clients et leurs écosystèmes respectifs, et c’est une idée que je voudrais explorer plus avant ici.
La création de valeur d’une marque se passe dans l’échange et l’utilisation de savoir: du savoir sur la manière dont un produit ou service répond à ce qu’un client cherche à en faire (valeur créée à travers l’expérience client dans l’usage), du savoir sur les insights récupérés auprès des clients, du savoir créé et accumulé à travers toutes sortes d’interactions humaines (aux points de contact entreprise-client, entre les différents acteurs,…). La part factuelle, informative, du savoir échangé se rapporte directement à ces interactions, mais si l’on admet que les marques ne font plus écran enter les individus, est-il toujours pertinent de considérer cette part comme faisant partie de la valeur d’une marque ? Au-delà de l’information et du contexte, l’intention, dans sa dimension émotionnelle, est une composante capitale du savoir, puisqu’aucun échange ne saurait avoir lieu sans cette intention. C’est cette dimension émotionnelle qui, en fait, constitue aujourd’hui la valeur d’une marque.
La dimension émotionnelle de l’échange de savoir
Savoir différencier l’émotion de l’information et du contexte n’est, bien entendu, pas une chose facile. Mais regarder les marques à travers ce prisme nous fournit d’intéressants indices sur la manière dont la valeur est co-créée et dont les marques pourraient venir à l’aide, tant des clients que des entreprises, dans la création de cette valeur. Valeria Maltoni (@ConversationAge) a écrit il y a quelque temps un billet provocateur intitulé “Why Customer Service in Social is not Fair” (pourquoi les service client sur les médias sociaux n’est pas juste). Elles y fait des remarques très justes, mais considérons le cas à travers notre nouveau prisme:
- Interaction entreprise-client
Se plaindre en ligne permet à l’entreprise de prendre conscience d’un problème. c’est là un savoir directement opérationnel, qui peut être utilisé pour réparer un processus inefficace, au bénéfice de tous les clients. Que l’entreprise choisisse ou non d’utiliser ce savoir est un autre problème, mais ne pas l’utiliser peut s’avérer coûteux, comme l’écrit Valeria.
En échange de ce savoir, l’entreprise récompense le client à travers la résolution directe de son problème. Est-ce injuste ? Je ne le pense pas. - Valeur pour la marque
D’un point de vue émotionnel, cette interaction modifie la perception de la marque par le client. Elle élève son niveau de satisfaction, et peut potentiellement le transformer en ambassadeur de la marque. Il s’agit là d’une situation gagnant-gagnant.
L’intention émotionnelle fait partie intégrante de l’échange de savoir. Les marques, en tant qu’attrateurs émotionnels, facilitent et stimulent la conversation entre les entreprises et leurs clients, et leur valeur se crée au fil de l’eau, à travers les attentes et le niveau de satisfaction des clients, à travers la volonté de l’entreprise de fournir une meilleure expérience client, à travers l’expérience au jour le jour transmise par chaque nouvelle conversation. Les valeurs émotionnelles dont le liant des communautés, et les marques fournissent les signes qui permettront à de nouvelles conversations d’y prendre place.
La sensibilisation, l’influence, la confiance et la fidélité sont de puissants ressorts émotionnels qui donnent forme à la marque. Les analytiques, le crowdsourcing, l’interaction, font partie des leviers que les entreprises devraient utiliser pour générer davantage de business sur le web social, tout en donnant davantage de valeur à leurs marques. Parler de «présence de marque sur les médias sociaux», penser «marque» plutôt qu’»entreprise» est une grave erreur, tout comme le Social CRM n’est ni un compteur de fans ni un outil d’écoute sur les médias sociaux, mais bel et bien une extension du CRM. Clay Shirky a qualifié de «Cognitive Surplus» (surplus cognitif) la part disponible de la créativité humaine qui peut être utilisée afin d’aider à construire un monde meilleur. De la même manière, je vois les marques comme des «surplus émotionnels»: la part émotionnelle de l’achange de savoir qui peut être utilisée afin d’aider à construire de meilleures expériences client.