Ces derniers mois ont, pour moi, été particulièrement riches. J’ai essayé de partager et de nourrir un certain nombre d’idées autour des organisations, de la collaboration et de la complexité, rencontré des gens, chatté en ligne avec d’autres, lu, assisté ou parlé à plusieurs événements… Les dernières révélations sont venues de The Age of Paradox, de Charles Handy, dont la métaphore de la sinusoïde est venue de manière quasi-magique compléter mes intuitions. Petit à petit, j’ai pu construire un modèle plus ou moins concret de maturité des organisations qui démontre clairement la nécessité pour les entreprises d’entrer dans le monde du 2.0.
C’est ce que je désirais aujourd’hui partager avec vous.
Phase #1: l’entreprise simple
La plupart des entreprises sont au départ simples, se créant autour de quelques personnes rassemblant leurs talents autour d’une idée. La prise de décision, la distribution des tâches et l’interaction directe avec les clients et l’ensemble des parties prenantes sont elles aussi simples et directes. Comme le sait tout entrepreneur, la croissance initiale de l’entreprise est souvent synonyme de perte d’efficacité et de chute du résultat; les tâches administratives, les coûts indirects de structure et les prévisions à moyen terme mettent une pression à la fois humaine et financière sur son développement.
Surmonter ces obstacles est une des pierres d’achoppement qui attendent les start-ups et les jeunes entreprises. L’innovation est omniprésente, la capitalisation du savoir est facilitée par une vision commune des affaires, et la croissance qui en découle est généralement synonyme d’efficacité durable et d’accroissement des parts de marché.
Phase #2: l’entreprise compliquée
Au fur et à mesure que les organisations grossissent, la simplicité originelle devient de plus en plus difficile à conserver. Dans The Pursuit of Wow, Tom Peters établit à environ 150 personnes la taille idéale des organisations. Au-delà de cette taille, connaître tout le monde en personne devient impossible (ce chiffre est à rapprocher du nombre de Dunbar, de même valeur), et des couches intermédiaires de pouvoir et de délégation comment à se mettre en place. Au-delà de cette phase, qu’elles le veuillent ou non, pour continuer à grossir, la plupart des entreprises entrent dans le royaume de la complication.
La plupart des grandes entreprises et des groupes actuels sont compliqués. Pour continuer à croître et à gagner en efficacité, de plus en plus de processus sont implémentés afin de sécuriser les aspects opérationnels et de minimiser les risques, reléguant ainsi les compétences clef que sont la prise de décision et l’innovation à la périphérie. La vision, s’il en reste une, est à présent portée, non plus au niveau individuel, mais au niveau du comité de direction. De nouvelles couches de contrôle et de supervision font leur apparition, des silos se créent et l’acquisition du savoir est formalisée, en un effort de gagner en efficacité à travers la spécialisation.
Au fur et à mesure que les grandes entreprises continuent à grandir, à moins d’être soutenues par l’existence d’un marché en perpétuelle expansion, la croissance et l’innovation internes atteignent un point d’inflexion, et elles dépendent davantage des fusions et acquisitions pour continuer à grossir. C’est un fait, au-delà d’un certain stade de complication, les entreprises ne créent plus d’emploi. En France, une étude de l’INSEE a montré que les grands groupes et organisations détruisent au contraire des emplois; elles les transfèrent vers leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants, et, même ainsi, participent très peu à la création d’emplois. Des études similaires ont été conduites dans d’autres pays en obtenant les mêmes résultats. Le savoir, et l’acquisition de nouveau savoir, restent un facteur clef de l’innovation et de l’efficacité. Pour compenser le fait que ce savoir ne peut plus être apporté par des éléments extérieurs, l’entreprise compliquée bascule alors dans un nouveau paradigme, et devient une entreprise apprenante, accordant un effort particulier à la formation.
Les menaces pesant sur l’entreprise compliquée
Ce que nous observons aujourd’hui dans la plupart des secteurs d’activité, est l’impuissance des grandes entreprises et groupes de se réinventer suffisamment vite pour répondre aux menaces auxquelles elles font maintenant face. L’optimisation des processus et les réductions de coûts n’ont qu’une influence marginale sur la croissance et l’efficacité des organisations. Des marchés en évolution rapide challengent les capacités des organisations à réagir à la demande de leurs clients, et à se réorganiser à cet effet en interne. La prise de décision est de plus en plus paralysée par la gestion opérationnelle par processus et les chaines de contrôle en place, affectant ainsi l’agilité de l’entreprise.
De plus, les organisations doivent maintenant faire face à d’importants challenges en interne. Les baby boomers, qui ont jusqu’à présent représenté l’âme des entreprises, partent maintenant à la retraite à un rythme accéléré, privant ces entreprises d’un savoir et d’une expertise capitale. A l’autre bout de la pyramide des âges, les jeunes de la génération Y sont en train de vivre une révolution dans la manière dont ils communiquent et interagissent. Il ne s’agit pas d’outils, de technologies, et de la manière dont ils s’en servent. L’internet est en train de radicalement modifier leur vie et la nôtre, ouvrant la voie à une perception totalement différente de nous-mêmes, transformant la nature même de l’information, mettant les hiérarchies, le management et l’ensemble des workflows en question.
Sans un changement profond, les organisations compliquées vont bientôt entrer dans une phase de désillusion, et connaître une baisse croissante de leur efficacité.
Phase #3: l’entreprise complexe
Pour écarter ces menaces, les organisations doivent à présent accepter la notion de complexité, au lieu de persister dans une complication de plus en plus grande. J’ai déjà écrit sur le changement de mode de pensée qu’elles doivent entreprendre afin de mettre à profit la puissance de la collaboration en réseau, pour passer de la hiérarchie à la wirearchy, telle que Jon Husband la définit. Ce changement de paradigme a un coût; alors que les stratégies organisationnelles actuelles continuent à montrer une croissance de l’efficacité, le challenge que représente l’adoption des concepts et des pratiques de l’Enterprise 2.0 va nécessairement voir cette efficacité baisser pendant un certain temps. La coexistence des deux structures ne simplifiera pas les choses, tant que les entreprises n’auront pas une vision plus claire des avantages compétitifs que cette nouvelle approche induit.
Voici une tentative pour résumer quelques uns des changements organisationnels majeurs qui se produisent ou sont à prendre en compte dans le voyage de la simplicité à la complexité :
Simplicité | Complication | Complexité | |
Théorie des organisations | Savoir structuré (KBV) | Entreprise apprenante | Micro-fondations des compétences dynamiques |
Attracteurs | Partenaires internes (vision) | Actionnaires (profit)) | Clients (service) |
Modèle de croissance | Interne | Fusions & acquisitions | Ecosystème |
Acquisition du savoir | Formation formelle | E-Learning | Social Learning |
Capitalisation du savoir | Meilleures pratiques | Bonnes pratiques | Pratiques émergentes |
Le futur n’appartient pas à la complication, et la simplicité est loin derrière pour la plupart des entreprises. Mener, en pionnier, le changement vers l’Enterprise 2.0 est une étape audacieuse, mais bientôt incontournable, vers le redesign du business.