Le pouvoir occulte du savoir renégat

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Du knowledge management au social business, quasiment toutes les méthodologies ou initiatives concrètes traitant des dimensions humaines de l’efficacité organisationnelle met l’accent sur le partage du savoir. La justification de la plupart des outils collaboratifs et de leurs fonctionnalités s’appuient sur la simple supposition que le partage ouvert et transparent du savoir est la meilleure façon d’aider les travailleurs à accomplir leurs tâches. Rien à dire, à moins que le savoir ne désire pas être partagé.

La plupart des tâches que nous essayons d’accomplir au cours de notre travail quotidien sont soit compliquées soit complexes. Elles impliquent de nombreuses étapes, des interactions homme-à-homme ou homme-à-machine, l’utilisation de différents outils, toutes choses qui requièrent de suivre des procédures, de naviguer à travers -et parfois malgré- les exigences et validations hiérarchiques, de mobiliser des ressources dont la disponibilité ne correspond pas nécessairement à nos besoins, de produire certains résultats pour des clients -internes ou externes- dont la logique n’est pas la vôtre, et tout cela en un temps réduit. Que nous soyons profession libérale, employé du secteur public ou top manager d’une entreprise du CAC 40 ne fait guère de différence en ce sens.

Dans mon dernier billet, j’ai écrit comment les gens développent souvent des «comportements gris» afin de compenser le manque d’adéquation entre la plupart des applications business et la façon dont le travail est réellement accompli. De plus, les interactions entre plusieurs personnes sont gangrénées d’incertitude, d’inexactitude et de flou, même dans un contexte professionnel. Nous sommes humains, après tout. Même si les organisations modernes ont développé suffisamment de processus, de procédures et de structures de contrôle pour éviter les cygnes noirs et minimiser le brouillard improductif, une des clefs de l’efficacité reste la marche de la pendule.

Conserver le flot en action

Avez-vous déjà observé un torrent ? L’eau suit toujours le chemin de moindre résistance, mais ce chemin suit parfois des méandres contre intuitifs en descendant la montagne. Des déclivités locales peuvent l’emporter sur le sens général du courant, même si ceci s’avère inefficace, et en cas de changement survenant sur le cours du torrent tel qu’un rocher déplacé, l’eau suivra peut-être un autre chemin sans pour autant abandonner l’ancien, à moins que cela ne devienne réellement inefficace.

On observe la même chose sur le lieu de travail. Afin de conserver un flot de travail le plus rapide possible et d’accomplir leur travail, les gens apprennent un très grand nombre de petits trucs et d’astuces, et ne les abandonnent pas tant que l’on ne leur a pas montré une procédure dont la meilleure efficacité a été prouvée par A plus B.

Bien sûr, tout le monde veut travailler plus vite et de façon plus intelligente, mais ce que tout le monde veut par-dessus tout, c’est soulager la douleur que leur causent les points d’étranglement organisationnels trop longs ou que l’on sait inefficaces. Qu’il s’agisse d’appeler directement quelqu’un qui peut influencer une décision afin de contourner un manager, ou de retirer l’écran de protection d’une scie industrielle pour éviter l’accumulation de sciure, nous avons tous accumulé un tel savoir.

Mener le «social» des paroles aux actes

Alors que l’un des objectifs des outils sociaux et collaboratifs et de favoriser la communication informelle pour faciliter l’échange de savoir, ce genre de savoir tacite, en général appris par la pratique ou de manière confidentielle entre pairs, n’est pratiquement jamais partagé. Lors d’un court échange avec Harold Jarche dans la Social Learning Community créée par Jane Hart (si vous êtes intéressé par l’usage des médias sociaux dans le travail et l’apprentissage, rejoignez-la si ce n’est déjà fait), j’ai appelé cela du Savoir Renégat, puisqu’il subvertit de toute évidence la structure des organisations. Paradoxalement, c’est également le type de savoir qui subvient aux manques et défauts des processus et procédures et fait que la machine continue à tourner.

Jamais documenté, presque jamais partagé ouvertement, le savoir renégat est pourtant une part importante du capital des organisations. Il est totalement productif, parce que directement relié à l’expertise des hommes, et a le pouvoir d’aider les entreprises à améliorer la manière dont elles opèrent. Par contre, lui permettre de circuler et le rendre explicite nécessite un très haut niveau de confiance et de résilience. Activer le pouvoir occulte du savoir renégat revient à retirer la dernière barrière entre croire savoir comment fonctionne une organisation et savoir comment les choses sont réellement accomplies. Tant que nous ne serons pas arrivés à ce point, la véritable entreprise collaborative existera beaucoup en parole et bien peu en action.

J’aimerais beaucoup connaître vos expériences, s’il en existe, et vos idées sur la manière d’utiliser le savoir renégat.

 

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