Mes prédictions Social Business pour 2003 (sans coquille) – Première partie

assembly_lineJe sais, nous sommes en 2013, et annoncer quelque chose pour une date passée ressemble à tout sauf à une prédiction. Cependant, alors que nous nous battons pour aider les entreprises à se transformer pour s’adapter à l’incertitude ambiante, j’ai souvent l’impression d’avoir déjà vu et vécu tout cela, lorsque je regarde ce vers quoi le social business se dirige. Que ce soit d’un point de vue technologique ou conceptuel, beaucoup d’annonces semblent nous ramener vers le passé. Il y a bien sûr bien des raisons à cela, la plus évidente étant le besoin de survivre au sein de la logique industrielle en vigueur tout en jetant les bases nécessaires aux entreprises pour prospérer dans une wirearchie. Les nouvelles technologies et les comportements émergents doivent trouver leur place dans notre modèle top-down et productiviste avant d’être en mesure de faire naître un modèle adapté à la complexité et à une économie du savoir. Malgré tout, la plupart des tendances qui se dessinent dans le paysage du social business laissent une forte impression de déjà vu, comme si le geai voulait se parer des plumes du paon. Certaines prédictions riantes semblent au contraire nous ramener vers un passé plutôt sombre… Ce billet traite des aspects technologiques de cette valse-hésitation, tandis que je parlerai de l’aspect conceptuel dans un prochain article.

Lorsque j’ai commencé à rassembler du matériel pour écrire ce billet, Bertrand Duperrin a publié un intéressant article, dans lequel il classe les principales approches prises par les éditeurs pour concilier les technologies sociales émergentes avec notre environnement et nos applications métier post-industrielles: ils choisissent soit de “socialiser des applications métier ou de remettre le business au cœur des réseaux sociaux”. Dans les deux cas, la règle de ce (nouveau) jeu s’appelle intégration. Un jeu qui nous promet de “libérer la créativité partout” (“unlock creativity everywhere” – IBM Connections), ou de “satisfaire les objectifs opérationnels du business en continu et de ravir les clients” (“continuously meet both business execution objectives and to delight the end customer” – SAP Jam).

Le pourquoi fondamental de la collaboration en entreprise se trouve au cœur de ces effets de manche marketing: permettre de résoudre des problèmes mieux et plus vite, en facilitant l’accès au savoir, aux ressources et à l’expertise à travers l’entreprise et au-delà de ses frontières, afin de prendre de meilleures décisions.

L’avènement de la chaîne de montage virtuelle

En faisant du flux d’activité le centre de toutes les activités professionnelles, qu’elles s’exercent par le biais d’applications métier ou d’interactions humaine, le “social” nous enchaîne à une place unique. Bien sûr, l’objectif des flux d’activité n’est pas de nous forcer à garder les yeux rivés à l’écran à longueur de journée, un des principaux facteurs de succès de cette approche étant d’apprendre aux gens à capter ce qui est important pour eux et à filtrer l’information sans importance. Pourtant le fait est là: les flux d’activité, aussi opérationnels soient-ils, nous enchaînent à un environnement unifié. Nous sommes d’une certaine manière en train d’inventer la chaîne de montage virtuelle; nous négligeons la diversité et les environnements hétérogènes, seuls favorables à la réflexion divergente nécessaire lors de la prise de décisions complexes, et oublions qu’une certaine dose de distraction stimule la créativité.

Dans On Organizational Becoming: Rethinking Organizational Change, Haridimos Tsoukas et Robert Chia ont montré que, même sans en avoir conscience, les entreprises se transforment continuellement. Un des changements majeurs dont nous avons été témoins durant la dernière décennie est le retour vers une organisation du temps autour des tâches à accomplir. Cette organisation, qui prévalait dans les sociétés traditionnelles et reliait toutes nos activités dans un continuum, avait été remplacée par une organisation autour de l’horloge durant la révolution industrielle, comme l’a expliqué Lewis Mumford en 1934. A lui seul, ce changement a des répercussions profondes sur notre mode de vie, et fait que le travail ne peut plus être considéré comme une activité “spéciale” déconnectée des autres.

Dans ce contexte, la convergence entre les technologies sociales pour l’entreprise et les services disponibles sur le web grand public, ainsi que les comportements qui y sont associés, est inévitable. Les flux d’activité n’auraient jamais été aussi largement été adoptés sans Twitter et, si l’on excepte les wikis, la plupart des outils composant les plateformes collaboratives sont en premier apparus sur le web. Pourtant, il semble que les éditeurs imaginent le futur… en marche arrière. Alors que nous commençons tout juste à réussir à convaincre les dirigeants d’entreprise que les outils collaboratifs ne sont pas juste “Facebook pour l’entreprise”, mettre l’accent sur les flux d’activité, et organiser l’accès à l’ensemble des tâches depuis un environnement unifié, nous ramène hélas au même paradigme: revoici Facebook, l’endroit où tout nous ramène, où tout est sensé se passer et qu’on ne quitte jamais. Les gens ne vivent pas dans Facebook, pourquoi devraient-ils travailler a comme s’ils le faisaient ?

Le comportement des consommateurs sur le web dresse un portrait de l’usage des technologies très différent de celui d’un flux unifié d’activité. Dans une récente étude, Google a découvert que plus de 90% des gens utilisent quotidiennement plusieurs écrans, séquentiellement ou simultanément. Une recherche menée par Microsoft a également montré que les utilisateurs de mobiles utilisent en moyenne dix applications différentes sur leur smartphone (compte tenu du fait que cette recherche exclue les utilisateurs d’iPhone). Ainsi que l’a écrit Larry Hawes, en commentant un billet récent de Sameer Patel, et que je traduis librement, “un autre grand facilitateur du changement que vous appelez de vos voeux est le mobile. Pourquoi ? Parce qu’il nous offre un territoire vierge de toute technologie comme de perspectives comportementales. Nous pouvons utiliser ce support pour concevoir des expériences nous permettant de combiner de manière transparente à la fois les aspects transactionnels, relationnels et collaboratifs du travail.” En ce sens, les flux d’activité globaux sont des artefacts d’un passé industriel. Nous avons besoin de véritable interopérabilité et de diversité, pas d’homogénéité et d’intégration. Nous devons pouvoir travailler sur des outils différents, choisis selon le contexte et notre humeur du moment, des outils peuplés d’applications simples qui ne transmettront pas plus d’information que ce dont nous avons besoin à un moment donné, tout en nous permettant de transférer cette information à tout moment, en tout endroit et dans tout contexte. Ces apps ne seront pas la copie “responsive” de plateformes intégrées aux fonctionnalités multiples, mais, au contraire, leurs fonctionnalités et leur design correspondront aux comportements que chacun associera à l’outil qui les embarquera.

Le futur au passé

Tournant le dos au paradigme du flux d’activité, certains éditeurs, historiquement impliqués dans les applications métier, tels que Salesforce ou plus récemment SAP, ont choisi une autre direction, et veulent introduire la collaboration autour des objets du business. Discuter autour d’un document à l’endroit où celui-ci vit, ou chercher de l’aide dans une communauté pour résoudre un problème client, offrent de puissantes et prometteuses possibilités de collaboration. Cependant, les applications et les processus autour desquels la conversation se déroule ont été conçus pour l’ère industrielles, et mettre de la collaboration dans un tel contexte revient à donner une béquille à un paralysé. Qui plus est, alors que l’incertitude et la complexité nous imposent de réinventer la plupart de nos idées préconçues sur le business, depuis le leadership jusqu’aux business modèles, la collaboration est une chose trop sérieuse pour n’être confiée qu’au business tel qu’il se fait aujourd’hui, pour paraphraser Clémenceau.

En fait, le futur de la collaboration existe, nos clients et nos employés en tirent déjà les bénéfices dans leur vie personnelle. Il serait temps que la technologie l’adopte pour améliorer l’efficacité du business à travers de nouveaux modes de travail, et non pour améliorer l’efficacité des employés à travers des business modèles dépassés. Laissons le passé reposer en paix.

Lire la seconde partie.

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