Engagement des employés: au-delà de la psychose 2.0

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psychosis 2.0

J’ai toujours été un ardent défenseur de la vraie recherche qualitative. Pourtant, les données SONT parfois passionnantes, surtout lorsque, vues sous le bon angle, elles aident à mettre l’accent sur des faits et des comportements pouvant passer inaperçus.

Un chiffre est un chiffre est un chiffre

Emanuele Quintarelli, lors de sa présentation de l’étude qu’il a récemment menée auprès de 300 entreprises italiennes lors du récent Enterprise 2.0 Summit (vous pouvez voir sa présentation ici), a livré de tels chiffres, chiffres qui ont curieusement e très peu commentés. Lui, et son collègue Stefano Besana, ont découvert que le management intermédiaire n’était pas le problème que nous pensions tous être. En moyenne, il ne représente un problème que pour moins de 20 pour cent des entreprises ayant entrepris une initiative autour du social business. Wow… Une interprétation hâtive de ce résultat voudrait le corréler avec la prédiction désormais célèbre du Gartner Group prévoyant l’échec de 80 pour cent des initiatives social business, et renforcer l’idée que les anciennes méthodes — introduire le social dans une logique de projet, une approche facilement compréhensible et réaliste pour le management intermédiaire — échouent quand il s’agit de transformer l’entreprise pour l’adapter à notre réalité hyper-connectée.

Bien qu’intellectuellement flatteuse, car nourrissant notre croyance en un nécessaire changement culturel et comportemental, cette corrélation serait trompeuse. Si 80 pour cent des managers trouvent de la valeur dans les technologies sociales, cela signifie qu’une partie au moins d’entre eux est en train d’adopter un comportement propre au leadership (l’étude d’Emanuele montre en fait qu’en moyenne la moitié des entreprises pense avoir une culture compatible). Si c’est bien le cas, alors comment expliquer le terrifiant niveau de désengagement des employés (63 pour cent en moyenne dans le monde) reporté par Gallup ? C’est à cette question que, suite à un échange sur Twitter, Claude Super et moi-même avons, chacun de notre côté, cherché à répondre.

Quand la structure conditionne la culture

Plus encore que la culture, la structure d’une organisation impose des contraintes sur notre comportement. J’irai même plus loin, en disant que la culture organisationnelle peut être définie comme un jeu de comportements se développant au cours du temps au cours de la confrontation avec ces contraintes. Comme l’a très justement écrit John Wenger:

« Je suis souvent fasciné de voir combien les gens, lorsqu’ils passent les portes de leur entreprise, adoptent des comportements évoquant le Syndrome de Stockholm. Bien que sachant dans notre cœur et dans nos tripes combien les entreprises fonctionnent de manière insensée, voire inhumaine, nous feignons de croire que c’est la meilleure façon de faire. Comme l’a écrit Alan Moore dans « No Straight Line », les systèmes industriels n’ont pas été façonnés en pensant aux besoins humains, et pourtant nous continuons à structurer les entreprises en ce sens. Nous acceptons la supercherie consistant à croire que faire les choses d’une manière mécaniste, commende-et-contrôle, est la juste façon de les faire ».

Dans bien des cas, la « victimisation » d’employés désimpliqués n’est pas causée par, ou dirigée contre des collègues et des managers, mais contre le système lui-même, dont la structure incarne un jeu déterministe de contraintes. Restaurer de la bonne volonté requiert bien plus qu’un changement de mentalité de la part des managers, cela implique un retricotage complet de la structure formelle des entreprises. Structure et culture sont intimement liés, et, au bout du compte, toutes deux se rapportent aux relations entre les gens. Comme Dan Pontefract l’a écrit dans « Flat Army« :

« … la culture organisationnelle est définie par un critère, et un seul: la culture d’une entreprise est définie par la manière dont les employés sont traités par leur leader direct ».

Je ne vais pas épiloguer ici sur la supériorité des réseaux sur les hiérarchies de l’ère industriel en tant que structure organisationnelle, vous pouvez par exemple lire les articles récents de Jon Husband ou d’Oskar Berg à ce sujet. Pourtant une question essentielle demeure: une structure en réseau génère-t-elle par elle-même l’engagement des employés ?

Malheureusement, la réponse semble être négative. Il n’y a encore que peu d’exemples d’entreprises offrant — et vivant — ce genre de structure: Gore, Valve, Automatic, et quelques autres, Mais toutes partagent une attitude commune quand à l’engagement de leurs employés: elles engagement des personnes compatibles avec leur culture interne, et sont particulièrement attentives à la personnalité et à l’état d’esprit de leurs nouveaux employés. Après avoir mis en place la bonne structure, elles tendent d’avantage à protéger la culture correspondante plutôt qu’à assimiler des éléments dissonants. Indirectement, elles prouvent toutes que, si une structure en réseau facilite et accroît l’engagement et la collaboration en favorisant les relations de confiance, elle n’aide pas tant que ça a restaurer l’engagement d’employés désimpliqués.

Psychose 2.0

La culture d’entreprise évolue; dans certains cas, leur structure commence — lentement — à se transformer, mais le niveau de désengagement continue de croître. Pour contrer cette tendance inexorable, certaines entreprises commencent à adopter de nouveaux comportements: approche ROWE des ressources humaines, politiques BYOD, meilleur équilibre vie professionnelle- vie privée… mais a-t-on des preuves tangibles de ce que ces comportements améliorent l’engagement ?

Parallèlement à la naissance de l’industrialisation, dans nos sociétés occidentales, le dix-neuvième siècle a vu nos vies se compartimenter et se structurer de manière de plus en lus rigide: travail, famille, religion, loisirs, sont devenus autant de «boites» sociales et comportementales qui, pour bien des gens, étaient hautement déconnectées les unes des autres. Cette évolution sociale, morale et ontologique se reflétait jusque dans la pensée de l’époque. Par exemple, Lewis Henry Morgan, un des pères de l’anthropologie, décrivait dans «Ancient Society» l’évolution sociale comme un ensemble de motifs relevant de différents domaines: la technologie, les moyens de subsistance, le mariage, la famille et l’organisation politique.

Aujourd’hui, à l’exception d’un seul, tous ces compartiments personnels sociaux et politiques ont disparu, emportés par une transformation accélérée par l’Internet et le développement des réseaux. La technologie est devenue ubiquitaire, et accessible à tous. La famille n’est plus le noyau infrangible qu’elle était il y a cent ans, et le mariage n’est plus le point de référence d’une vie humaine. Les minorités politiques font entendre leur propre voix, quelle qu’elle soit, et la lutte des classes n’est presque plus qu’un souvenir dans des sociétés devenues hédonistes et individualistes. Le travail, par contre, est demeuré le dernier domaine «reservé», au sein duquel les individus continuent à penser et à se comporter d’une manière différente de toutes les autres situations d’une vie caractérisée par une hybridation sociale et culturelle continue. Cette fracture est moins physique, tandis que se développent le télétravail et le travail en free-lance, que psychologique, car les codes du monde du travail différent beaucoup de ceux en vigueur dans notre vie privée, alors que la nature-même du travail s’éloigne de son produit, et devient de plus en plus abstraite.

Cette situation apporte un éclairage nouveau sur le manque d’engagement, dans des entreprises qui tentent d’adopter des règles internes plus flexibles et incitent les employés à mettre plus de leur personnalité et de leur créativité dans leurs tâches. Être un « soi-même » plus complet dans une entreprise déconnectée, indépendante, tout en continuant à vivre à l’extérieur dans un environnement toujours plus connecté et exigeant, offre toutes las caractéristiques d’un trouble de la personnalité multiple. En d’autres termes, essayer de socialiser des processus taillés sur-mesure pour des organisations de l’ère industrielle, ou ajouter une couche sociale à des systèmes par ailleurs fermés, mène, doucement mai sûrement, au développement d’une psychose 2.0.

La nature de la firme, redux

N’y a-t-il donc plus d’espoir, à part détruire et reconstruire l’entreprise ? Si, il y en a. Aux côtés de la culture et de la structure, et même au-delà d’elles, les entreprises doivent réfléchir à leur nature. J’ai écrit l’an dernier que l’objet dominant transactionnel de l’entreprise, rendu célèbre par la description qu’en a fait Ronald Coase dans « The Nature of the Firm », est en train de devenir un non sens économique. Pendant plus d’un siècle, les entreprises ont prospéré sur le dos de la société, y puisant ressources tangibles et intangibles à leur propre profit, au point d’être devenues des systèmes complètement clos, sujets à une entropie grandissante.

Au lieu de se battre pour une part de plus en plus réduite de profit, les entreprises doivent apprendre à redevenir utiles à la société qui les nourrit, au-delà des intérêts des actionnaires, et à devenir les moteurs d’une économie circulaire globale. Pour retrouver une forme de pérennité dans le monde que nous voyons émerger, elles doivent repenser leur nature et leur objet, et vont devoir passer d’une attitude centripète, quasiment parasitique, à une attitude centrifuge, symbiotique. La voie actuelle, qui mène inexorablement à la schizophrénie, est une impasse. Au lieu de demander toujours plus de leurs employés, elles doivent d’urgence ouvrir leurs portes, et montrer à ceux-ci qu’elles se préoccupent du monde, de la société, de la ville, de la vie au sein desquels elles opèrent.

Bien sûr, la plupart des gens veulent accomplir leur travail du mieux qu’ils le peuvent, mais uniquement si ce travail donnent du sens à leur vie, et s’ils peuvent sentir que ce sens est partagé avec leur collègues. Au lieu d’essayer de mêler des comportement sociaux à des mécanismes obsolètes, montrez à vos employés que vous vous préoccupez de vos clients, et donnez-leur des outils leur permettant d’agir en ce sens. Montrez-leur que vous vous préoccupez de problèmes plus profonds, et aidez-les à s’impliquer dans la résolution des problèmes auxquels ils font face dans leur vie extérieure, leur vie réelle. C’était la leçon brillamment donnée par mon amie et collègue de Change Agents Worldwide Céline Schillinger pendant l’Entreprise 2.0 Summit: le mouvement « Women in Sanofi Pasteur » qu’elle a initié s’est nourri de la promesse d’aider à améliorer l’équilibre hommes/femmes au travail, un problème qui n’est pas limité à l’interne, et son initiative s’est nourrie de la reconnaissance externe. Ce succès montre que, afin d’obtenir plus de leurs employés et partenaires, afin de les ré-impliquer, les entreprises doivent, simplement, leur donner davantage. Pas en tant qu’employés, mais en tant qu’êtres humaines. Pas dans l’entreprise, mais dans leur vie. Ouvrons donc les portes du monde confiné du travail, et laissons entrer l’air frais. Maintenant.

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