J’ai récemment été invité, lors de l’Enterprise 2.0 Summit à paris, à participer à une session intitulée «frameworks for the networked organization», aux côté de Jon Husband et de Richard Collin. Je ne vous livrerai pas ici mes vues sur la conférence elle-même, vous pourrez en lire des compte-rendus brillants sur le web, mais souhaite essayer de développer et explorer plus avant les idées exposées lors de ma courte présentation.
Une question de terminologie
Transformer les organisations commence par la transformation du langage utilisé pour les décrire. Alors que nous avons utilisé beaucoup de termes empruntés (avec plus ou moins de précision et de pertinence) au domaine militaire: commande-et-contrôle, opérations, reporting, campagnes, cibles,… pour décrire l’entreprise de l’Âge Industriel, le jargon du social business a un parfum résolument technologique, «framework» étant un exemple typique. Bien que nous mettions en avant les dimensions humaines et culturelles du changement que la transformation implique, les éditeurs et analystes ont une importante main-mise sur le «social en entreprise», cece expliquant sans doute cela.
Pourtant, comme l’ont abondamment démontré Karl Weick et d’autres, les organisations sont construites et structurées par le langage, par énaction. Il est donc paradoxal de noter que nous continuions à user et abuser de cette terminologie, alors même que les plus ardents défenseurs du rôle de la technologie s’accordent à dire que celle-ci ne représente qu’une partie, même pas prépondérante, de l’équation. Pouvons-nous sérieusement mettre en avant la nécessité pour l’entreprise d’accorder plus d’autonomie à ses employés (empowerment), alors que le langage que nous employons conti,nue à véhiculer l’idée que la technologie va générer ce changement, de la même façon qu’elle a accompagner le changement vers l’automatisation ?
À un niveau plus profond, ce paradoxe est en réalité un noeud Gordien, qu’il s’agit de trancher pour le dénouer. Dans l’environnement incertain et mouvant que nous connaissons, notre compréhension de l’entreprise doit évoluer d’une vision Newtonienne, dans laquelle nous les considérons comme des machines productives, vers une vision Darwinienne, et les considérer comme des systèmes complexes adaptatifs en perpétuelle évolution. Sous cet angle, la notion même de «framework» n’est pas pertinente, car aucun cadre ne permettra jamais d’anticiper, ou même de résumer, l’évolution d’un système complexe. La complexité nous oblige à raisonner autrement; une des propriétés remarquables de tels systèmes est que, pour pouvoir prédire leur évolution autrement que pour un très court terme (pensez par exemple à l’imprécision de la prédiction du temps qu’il fera à long voire moyen terme), il est nécessaire de connaître l’état initial de TOUTES les variables en jeu. Une légère imprécision sur l’évaluation d’une seule variable peut ainsi conduire à de grandes différences sur l’évolution du système. En ce sens, chaque entreprise est unique, et deviendra «sociale» de manière unique et imprévisible, quelle que soit la technologie ou la méthodologie utilisée pour initier et accompagner le changement.
Le social business comme finalité
Être incapable de prédire, et de rationaliser, l’évolution, ne veut pas dire que nous sommes incapables de déceler les grandes tendances du changement. En fait, la plupart de ces changements ont déjà commencé à se mettre en place sous nos yeux, dès le début de la Révolution Industrielle, sans que nous nous en rendions réellement compte. Ce que je peux voir, et déduire de l’observation et de l’expérience, est une évolution lente, mais constante, vers un paradigme et une finalité nouvelles. Cette évolution, qui s’accélère à présent de façon quasi-exponentielle grâce à la technologie à notre disposition, nous emmènera vers ce que je pourrais appeler le vrai social business.
En tant que terme, «social business» recèle une large ambiguité, et est donc largement sujet à controverse. Il recouvre à la fois la définition qu’en ont donné Peter Kim et Dion Hinchcliffe dans leur livre «Social Business by Design», d’entreprise augmentée intérieurement et extérieurement pas l’utilisation des technologies sociales, et celle donnée parMuhammad Yunus, qui a elle-même deux sens: celui d’organisations sans but lucratif agissant pour le bien social, et celui d’entreprises à but lucratif possédées par les pauvres pour leur propre intérêt.
Dans le futur, les entreprises qui réussiront incarneront, du moins en partie, les deux significations du terme, afin de continuer à satisfaire des clients qui sont aussi des employés ailleurs. Cette évolution vers ce que j’appelle l’organisation légère (thin organization), la redécouverte d’un objet pour lequel le profit est un moyen et non un but, en accord avec ce qu’Henry Ford déclarait en 1903: «Une entreprise qui ne produit rien d’autre que de l’argent est une bien pauvre entreprise», sera l’objet de la seconde partie de ce billet.