Les entreprises éviteront-elles les pires scénarios ?

Michael Idinopoulos a publié récemment un billet encourageant les entreprises à « ne pas passer par la phase pilote » et à adopter les médias sociaux à l’échelle de l’entreprise entière. Bien que je sois d’accord avec lui pour dire que la meilleure façon d’appréhender le pouvoir réel des outils est de mettre en place un environnement global pour englober les initiatives de médias sociaux (à condition qu’elles soient en mesure d’en supporter le coût, parfois élevé), la mise en œuvre d’outils 2.0 à l’échelle de l’entreprise soulève des problèmes de gouvernance et de management stratégique qui ne peuvent être aisément résolus dans la plupart d’entre elles.

Pour mettre en lumière certaines de ces questions, imaginons une entreprise dans laquelle médias sociaux et outils collaboratifs ont été largement implémentés, et envisageons divers scénarios :

Liberté hors processus

Dans la plupart de nos entreprises gérées en fonction d’objectifs, les initiatives 2.0 seront mises à l’écart des principaux processus business, et bien que les employés puissent être encouragés à participer de multiples manières (de l’obligation pure et simple à l’attribution de récompenses), ils ne pourront le faire qu’en-dehors de leurs tâches quotidiennes. Les résultats sont simples à prévoir : la collaboration et l’appréciation positive diminueront avec le temps, conduisant à l’échec. Espérer inciter à la collaboration et à l’interaction sans les intégrer directement dans les processus métiers et leur dédier du temps est une illusion.

L’entreprise régalienne

Implémenter un comportement social dans les processus business n’est pas suffisant. J’ai écrit sur la nécessité de faire naître le consensus au coeur desréseaux d’entreprise, en tant qu’élément de la gouvernance d’entreprise. Dissocier la démarche collaborative de la prise de décision est une voie plus simple à suivre, notamment dans le cadre d’initiatives à grande échelle. Ceci a pour effet, bien entendu, d’aplatir la structure hiérarchique, dès lors que les étapes de contrôle et les boucles de feedback peuvent être facilement simplifiées et rationalisées dans le déroulement des processus. Cependant, loin de représenter une évolution, un tel modèle de gouvernance représente une régression depuis les structures actuelles, renforçant un petit groupe de preneurs de décision et l’isolant de la base. Cette configuration rappelle en fait le modèle paternaliste de l’ère industrielle voire, dans le pire des cas, le modèle monarchique.

Paralysie mortelle

Echouer dans la mise en place stratégique du processus décisionnel  au bon niveau et au bon moment peut également mener à une autre situation plus sournoise, mais tout aussi dévastatrice. La production issue de processus basés sur des réseaux, si elle n’est pas correctement surveillée et canalisée, mène rapidement à  la saturation d’information, et donc à une carence d’agilité, et en fin de compte à la paralysie décisionnelle. Plus l’échelle des réseaux est grande, plus les effets sont importants. Parmi ceux-ci, on peut citer la frustration des employés, la perte de la culture d’entreprise, le manque d’avantage compétitif, l’inaptitude à l’innovation.

Eviter ces écueils et adopter un modèle correct de gouvernance 2.0 représentent un véritable challenge, mais n’oubliez jamais que les outils ne sont que des outils, et que seuls les êtres humains ont le pouvoir de comprendre et d’adopter avec succès les changements en cours dans le monde de l’entreprise.

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McDonald’s France : Does Branding Allow Of Faking History?

McDonald’s is presently celebrating its 30th year of presence in France. But when I came back in Paris in 1978, I remember having eaten in some of the half a dozen McDonald’s restaurants opened at that time. So what happened?

The first McDonald’s in France was opened in 1972 in Créteil, near Paris, by Raymond Dayan, who had acquired the franchise from the American company. Nevertheless, in 1982, following an epic legal battle, Raymond Dayan was forced to give up McDonald’s name, while keeping his restaurants open under his own O’Kitch brand. The reason invoked by MacDonald’s company was a failure to respect corporate hygiene requirements, and McDonald’s France re-opened its first restaurant in Paris in 1988, while “officially” settled in France since 1979…

Most have forgotten (not everyone), but to justify such an incredible mess, McDonald’s France has adopted an incredibly rigid branding strategy: the company celebrates this year the opening of the first restaurant of McDonald’s France, NOT the first McDonald’s restaurant IN France. Is this sustainable? Definitely not.

Rigidity is no more an available branding strategy
Even if you are still in control of your brand, you cannot deliberately ignore anymore your customers. Branding has became a matter of interaction between them and you, products are not elements you may hide behind. Be prepared to move and to meet your customers wherever they are, the way they need it.

Transparency as a rule of thumb
Of course, brand transparency is an illusion, as understanding all the internal mechanics and implications of maintaining a brand and manufacturing products require some literacy not anybody has. But marketing transparency is a requirement. Whichever action or communication you plan, don’t allow for misunderstanding or bad communication. Our world moves at fast pace, and you would suffer backfire before even noticing.

Be prepared to fail
The importance of experimenting new ways to engage with your customers has already been underlined, largely enough. Experimentation might lead to failure. You must be prepared to fail, of course, but even more importantly, you must be prepared to answer to failure. As the web is fast to crucify a brand for unsuccessful initiatives, your marketing plan must integrate the possibility of failing and the way you will publicly acknowledge it. Today, every communication is potentially crisis communication.

The rules of branding have changed, and while adopting a rigid branding strategy and somehow faking history, McDonald’s France failed in following any of them. In France, the company has an incredibly long way to go before being more than a commodity.

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McDonalds France: peut-on truquer l’histoire au nom d’une marque?

McDonald’s célèbre actuellement sa 30ème année de présence en France. Cependant, lorsque je revins habiter Paris en 1978, je me rappelle avoir mangé dans certains de la demi-douzaine de restaurants McDonald’s ouverts à cette époque. Que s’est-il donc passé ?

En France, le premier McDonald’s fut ouvert à Créteil, près de Paris, en 1972 par Raymond Dayan, qui avait acheté la franchise à la compagnie américaine. Cependant, en 1982, à la suite d’une épique bataille juridique, Raymond Dayan fut forcé d’abandonner le nom McDonald’s, conservant ses restaurants et les exploitant sous la marque O’Kitch. McDonald’s avait invoqué le manque de respect des règles d’hygiène de l’entreprise pour faire plier Mr Dayan, et McDonald’s France rouvrit son premier restaurant parisien en 1988, s’étant « officiellement » implanté en France (à Strasbourg) depuis 1979…

La plupart (pas tous) des gens ont oublié le fait, mais, pour justifier cette incroyable embrouille, McDonald’s France s’est abrité devant une stratégie de marque incroyablement rigide : l’entreprise fête cette année l’ouverture du premier restaurant de McDonald’s France, NON celle du premier restaurant McDonalds EN France. Cette attitude est-elle pérenne ? Certainement pas.

La rigidité n’est plus une stratégie de marque acceptable
Même si vous avez toujours le contrôle de votre marque, vous ne pouvez plus vous permettre d’ignorer délibérément vos clients. Le branding est devenu une affaire d’interaction entre eux et vous, vous ne pouvez pas vous cacher derrière vos produits. Soyez prêts à bouger et à aller à la rencontre de vos clients, où qu’ils soient, de la manière qu’ils souhaitent.

La transparence en tant que règle de conduite
Bien sûr, la transparence des marques est une illusion, la compréhension des mécanismes et des implications de la gestion d’une marque et de la fabrication de produits nécessitant une compréhension que tout le monde ne peut pas avoir. Mais la transparence de votre marketing est un impératif. Quel soit votre plan d’action ou de communication, ne laissez aucune place à l’erreur d’interprétation ou à une mauvaise communication. Notre monde évolue rapidement, et un retour de flamme arriverait avant même que vous ne vous en rendiez compte.

Préparez-vous à l’échec
L’importance d’expérimenter de nouvelles formes d’interaction avec vos clients a déjà été largement soulignée. L’expérimentation peut mener à l’échec. Vous devez vous préparez à l’échec, bien entendu, mais, plus important encore, vous devez vous préparez à répondre à l’échec. Le web étant prompt à crucifier des marques pour leurs tentatives infructueuses, votre plan marketing doit intégrer la possibilité d’échec et la façon dont vous y ferez publiquement face. Aujourd’hui, toutes les communications sont des communication de crise en puissance.

Les règles du branding ont change, et en adoptant une stratégie de marque rigide et d’une certaine manière en truquant l’histoire, McDonald’s France n’a su en suivre aucune. En France, l’entreprise a un incroyablement long chemin à faire avant de devenir autre chose qu’un basique pourvoyeur de nourriture.

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What Enterprise Could Learn From AI Research History

This might look like quite an academic title, but heaven knows how little academic I am! I was for a long time interested in AI as a way to use computers to something else than deterministically crunching data, and, as I worked on my last post, was struck by important analogies between key turn points in Artificial Intelligence history and our attempts to define and set up the early stages of the intelligent organization: the so-called Enterprise 2.0.

From processes to networks

Once the first dreams and myths vanished, AI research began to focus on two different subjects: manipulation of abstract symbols and contextual understanding (notably vision and natural language comprehension), and resolution of practical problems. That is, dealing with knowledge and information to take decisions, and ultimately act accordingly. During the late seventies, this field of research took off with the development of expert systems, which computed given information into a large set of rules (the expert knowledge) to trigger practical decisions. The main problem expert systems encountered were the necessity to deal with ever growing massive knowledge databases, and the difficulty to maintain this knowledge current. This approach reminds me a lot the way decisions are taken in our process-driven companies.

To address the enormous amount of necessary computation, researchers began to introduce computational shortcuts such as heuristics to bypass some portions of those huge knowledge trees. It is more than interesting to compare this with our attempts to introduce web 2.0 tools and practices inside business processes to give them more flexibility and efficiency.

Publication, in 1982, of Neural networks and physical systems with emergent collective computational abilities, by John Hopfield, was a breakthrough. The physicist proved that a certain form of networks was able to achieve the same results than rules-based systems. Instead of using databases, Hopfield nets stored it into weighted connections as they learned new patterns of distributed knowledge, and inferred decisions based on the output of the network.

Weights and convergence

The analogy itself between neural networks and a real community-based company is striking, and so are the similarities between the limitations of this approach and some Enterprise 2.0 concerns. Neural networks encountered two big problems: relevancy and convergence (they couldn’t ensure to converge onto the desired pattern, and sophisticated training techniques, such as back-propagation, were necessary to ensure convergence). Social media are facing the very same problems in the enterprise: how could we ensure that communities lead to the right consensus for applicable decisions to be taken? I evoked some possible trails in my last post, and this is a crucial point.

To push the analogy a bit further, the way connections were weighted inside neural networks might give us another path to follow: we might similarly “weight” conversations in social media to facilitate the rise of consensus. Such a system already exists on the Social Web, but is presently mostly a number game, people with more friends and followers are the most listened to, and the most influential. We cannot deal with the limitations of such a system in a professional context and need to look forward for better ways to weight authority and expertise there…

Further advances: micro-processes

The historical analogy stops there, as Artificial Intelligence kept on evolving from these paradigms. Most significantly, from explicit, the logical engines which process information went implicit, completed with a hybrid, “embodied”, approach, where physical captors capture perceptions from the environment: the intelligent agents.

Should, and will, the Enterprise 2.0 follow the same track as AI did? If so, next move would be to get rid of the big business processes we all know, and replace them with micro-processes applicable at individual scale. For instance, the way Japanese coworkers are able to make a consensus emerge from community-based workshops, one of the pre-requisite of Kaizen, rely on their heavy sense of “doing the right thing”. To set up such micro-processes is a radical move from where we are and where the most daring organizations try to go, and would only be possible with intensive education, and a strong commitment from HR and management. Whichever future we might predict to Enterprise 2.0, most underlying concepts are still in their infancy.

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Ce que l’entreprise pourrait apprendre de la recherche en intelligence artificielle

Ceci ressemble au titre d’un article universitaire, mais Dieu sait à quel point je suis peu universitaire ! Je me suis depuis longtemps intéressé à l’intelligence artificielle en tant que manière d’utiliser les ordinateurs à autre chose que de computer des données de façon déterministe et, en écrivant mon dernier billet, j’ai été frappé par d’importantes analogies existant entre des périodes clef de l’histoire de l’IA et nos essais pour définir et mettre en place les premières briques de l’organisation intelligente : ce que l’on appelle l’Entreprise 2.0.

Des processus aux réseaux

Une fois les premiers rêves et mythes évaporés, la recherche en IA a commencé à se concentrer sur deux sujets différents : d’un côté la manipulation de symboles abstraits et de la compréhension d’un contexte (notamment la compréhension de la vision et du langage naturel), de l’autre la résolution de problèmes pratiques. C’est-à-dire la manière de gérer la connaissance et le savoir pour prendre des décisions, et d’en tirer les actions adéquates. A la fin des années 70, ce sujet a connu un véritable essor avec le développement des systèmes experts, qui computaient les informations recueillies à travers un large corpus de règles (l’expertise) pour générer des décisions. Les principaux problèmes rencontrés par les systèmes experts étaient la nécessité de gérer des bases de connaissances démesurées, et la difficulté à actualiser ce savoir. Cette approche me rappelle très fortement la manière dont sont prises les décisions dans nos entreprises gérées par les processus.

Pour arriver à gérer l’énorme masse de calculs nécessaires, les chercheurs commencèrent à introduire des raccourcis, tels que les moteurs heuristiques, afin de contourner quelques portions de ces gigantesques arbres de connaissance. Il est plus qu’intéressant de comparer cela avec nos tentatives d’introduire des outils et pratiques du web 2.0 dans nos processus de business, afin d’y introduire davantage de flexibilité et d’efficacité.

La publication, en 1982, de Neural networks and physical systems with emergent collective computational abilities, par John Hopfield, fut une avancée spectaculaire. Le physicien prouvait qu’un certain type de réseaux était capable de parvenir aux mêmes résultats que des systèmes à base de règles. Au lieu d’utiliser des bases de données, les réseaux neuronaux d’Hopfield stockaient la connaissance dans leurs connections au fur et à mesure qu’ils apprenaient de nouveaux schémas de savoir distribué, et déduisaient les décisions à prendre des données produites en sortie.

Pondération et convergence

L’analogie entre les réseaux neuronaux et une entreprise réellement gérée par des communautés est frappante, de même que le rapprochement entre les limites de cette approche et certaines des questions qui se posent à propos de l’Entreprise 2.0. Les réseaux neuronaux rencontrèrent deux problèmes majeurs : la pertinence et la convergence (il n’y avait aucune certitude qu’ils puissent converger autour des schémas désirés, et des techniques d’apprentissage sophistiquées, telles que la rétro-propagation, étaient nécessaires pour s’assurer de la convergence d’un tel réseau). Les médias sociaux rencontrent des problèmes identiques dans l’entreprise : comment pouvons-nous nous assurer que des communautés parviennent à un consensus permettant de prendre les bonnes décisions ? J’ai évoqué quelques pistes dans mon précédent billet, et c’est là un point crucial.

En poussant plus loin cette analogie, la manière dont les connections étaient pondérées dans un réseau neuronal peuvent nous donner une autre piste : nous pourrions également « pondérer » les conversations dans les médias sociaux afin de faciliter l’émergence d’un consensus. Un tel système existe sur le Web Social, mais est avant tout un jeu de chiffres, ceux qui possèdent le plus de « followers » ou d’amis sont le plus écoutés, et les plus influents. Les limites inhérentes à un tel système ne peuvent convenir à un contexte professionnel, et nous devons chercher plus loin de meilleurs moyens de pondérer les communautés selon l’expertise et l’autorité…

Vers de nouveaux progrès : les micro-processus

La comparaison historique s’arrête ici, l’Intelligence Artificielle ayant continué à évoluer depuis ces paradigmes. Significativement, d’explicites, les structures logiques traitant l’information sont devenues implicites, complétées par une approche hybride, « incarnée » (embodied), dans laquelle des capteurs physiques recueillent des signaux de leur environnement : les agents intelligents.

L’Entreprise 2.0 suivra-t-elle les mêmes évolutions que l’IA ? Si c’est le cas, la prochaine évolution serait de se débarrasser des gros processus métiers que nous connaissons tous, et les remplacer par des micro-processus, applicables à l’échelle de l’individu. Par exemple, la manière dont les employés japonais sont capables de faire émerger un consensus d’ateliers de travail, un des pré-requis d’une démarche Kaizen, dépend de leur profond sens de « faire ce qui est juste ». Mettre en place de tels micro-processus est un changement radical par rapport à là où nous sommes, et à là où les entreprises les plus aventureuses tentent de s’engager, et ne deviendrait possible qu’avec une démarche éducative volontaire, ainsi qu’une implication très forte du management et des Ressources Humaines. Quel que soit le futur que nous prédisions à l’Entreprise 2.0, la plupart des concepts sous-jacents sont encore balbutiants.

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